Citations de Wei-Jan Chi (22)
Les écrivains sont très forts pour décrire les regards : d'un mot, ils pénètrent jusqu'à l'âme l'intimité de leurs personnages. Pour moi, un regard n'est rien de plus qu'un regard. Même s'il n'a pas son pareil pour transmettre la gamme des représentations mentales dans toute leur diversité, il ne dévoile en rien l'âme, j'irais même jusqu'à dire qu'il en est un fidèle gardien, la protégeant d'un côté contre les intrusions malintentionnées venant de l'extérieur, de l'autre contre les débordements intimes venus de l'intérieur.
En matière de scènes, ma mère s'y entend pour en faire des tonnes. Mes talents de comédien, c'est à ses leçons in utero que je les dois.
Plutôt que de l’art nul, il vaut mieux pas d’art du tout : voilà la vérité.
« Les profondeurs du cœur humain sont une insondable mer souterraine, les monstres marins qui y barbotent ne sont pas d’inoffensifs dauphins se contentant de venir respirer de temps en temps à autre à la surface. J’avais depuis longtemps abandonné l’idée d’explorer les fourbes replis de l’âme, la mienne ou celle des autres, cette « chose » inexistante, quoique obscurément perceptible et qui excède tout langage humain. Combien de fois, alors que je touchais aux confins du désespoir, n’ai-je pas extirpé avec rage la dernière étincelle de courage de ce siège secret du corps qu’est le champ de cinabre ? Mais quand je m’y penchais, il n’était là qu’incompréhensible mystère, fermé et noir, ou simple reflet sur l’eau ne donnant finalement à voir que ma propre image, un moi inversé en train de scruter des abîmes.
Percer l’âme humaine n’est pas le travail du détective privé mais si cela aidait à résoudre une énigme, je m’y plierais volontiers. Le détective, ayant en fait profession de filtrer les représentations mentales, limite le moteur de ses déductions aux couches du conscient. Les niveaux plus abyssaux, il les abandonne aux religieux, aux taoïstes et aux psys qui ont en commun de s’exprimer de manière sibylline et tout bonnement imbitable. »
L'officier de police qui dirige l'antenne de Wolong tient une conférence de presse, il lit laborieusement un texte rédigé à l'avance.
Plutôt que de l'art nul, il vaut mieux pas d'art du tout, voilà la vérité.
Le détective, ayant en fait profession de filtrer les représentations mentales, limite le moteur de ses déductions aux couches du conscient. Les niveaux plus abyssaux, il les abandonne aux religieux, aux taoïstes et aux psys qui ont en commun de s’exprimer de manière sibylline et tout bonnement imbitable
Percer l’âme humaine n’est pas le travail du détective privé mais si cela aidait à résoudre une énigme, je m’y plierais volontiers.
Combien de fois, alors que je touchais aux confins du désespoir, n’ai-je pas extirpé avec rage la dernière étincelle de courage de ce siège secret du corps qu’est le champ de cinabre ? Mais quand je m’y penchais, il n’était là qu’incompréhensible mystère, fermé et noir, ou simple reflet sur l’eau ne donnant finalement à voir que ma propre image, un moi inversé en train de scruter des abîmes.
J’avais depuis longtemps abandonné l’idée d’explorer les fourbes replis de l’âme, la mienne ou celle des autres, cette « chose » inexistante, quoique obscurément perceptible et qui excède tout langage humain.
Je vais vous dire une chose : les relations entre les services de police et les médias sont un mélange d’amour et de haine. Il nous arrive de leur en vouloir à mort, mais parfois nous les remercions secrètement de leur capacité encore plus puissante que la nôtre à fouiller la merde.
Je ne suis pas bouddhiste, je ne crois pas que nos paroles puissent nuire à notre karma, mais j’ai toujours pensé que maudire les autres revenait à reconnaître notre propre défaite.
J’ai compris très tôt qu’il n’y avait pas moyen de parler raison en politique. Vouloir redresser les erreurs de quelqu’un dont les opinions sont plus ou moins les mêmes que les siennes, c’est comme lui tirer dessus, cela ne règle rien hormis le soulagement immédiat que cela procure. Dans le cas inverse, s’user la voix avec des gens dont les idées divergent totalement d’avec les vôtres non seulement vous esquinte mais vous fait perdre du temps pour rien. Plutôt que débattre à s’en dilater les veines du cou avec quelqu’un dont nous sommes opposés à 180 degrés, autant y aller carrément au couteau à pastèque et s’entre-découper menu direct. Je ne saurais affirmer si cette conclusion peut s’étendre à d’autres pays, mais ainsi vont les choses à Taïwan où, entre noir et blanc, il n’y a jamais de milieu.
Paris est un paradis pour tous ceux qui n'ont que faire des détails de la législation. [...] Les Parisiens sont des esthètes, alors que les Taïwanais ignorent ce qu'est la beauté - toute la différence est là.
Les Japonais font une curieuse nation : vivants, ils se laissent séduire par la mort et, depuis cette rive qu'est l'existence, ils lorgnent vers celles des fleuves infernaux.
Les profondeurs du cœur humain sont une insondable mer souterraine, les monstres marins qui y barbotent ne sont pas d’inoffensifs dauphins se contentant de venir respirer de temps en temps à autre à la surface. J
Après avoir donné ma démission, mis fin à un mariage vidé de toute substance, vendu mon appartement de Xindian, plaqué le milieu théâtral où je m’étais fait un petit nom, rompu à l’amiable avec mes vieux potes (pour les beuveries et les parties de poker, ne comptez plus sur moi !), muni d’un patrimoine des plus réduits et donc aisément transportable, j’ai franchi l’infernal tunnel de Xinhai menant à Wolong Street, ce trou du cul du monde qui a « le charnier » en toile de fond1, et là, me suis installé comme détective privé.
L’aplomb que donne l’ébriété est de deux sortes : l’une tient à la quantité d’alcool qu’on vient de consommer, l’autre au degré d’imprégnation auquel on est arrivé au fil des années. Moi, j’ai des talents exceptionnels, car je conjugue les deux. Il m’est déjà arrivé bon nombre de fois lors d’une cuite de me laisser aller à des explosions incontrôlées et de dire des choses que j’ai amèrement regrettées ensuite. Il a pu m’arriver aussi de briser de durables amitiés ou de blesser des interlocuteurs innocents et impuissants à parer le coup. Ou encore, toujours sous l’effet de l’alcool, j’ai secrètement nourri de fortes ambitions, réformer ma conduite, devenir un type bien ou lire intégralement de vieux romans russes, mais une fois dégrisé, j’oubliais.
Quels que soient les règlements officiels, à Taïwan, ils n’ont d’autre usage que documentaire. Les panneaux d’interdiction sont omniprésents, mais souvent on peut voir pratiquer, au pied même du panneau, l’activité censée être interdite qui y est représentée biffée par une croix. (...) En règle générale, tout ce qui est interdit par le gouvernement, les gens se font un devoir de le faire – et je suis absolument convaincu que c’est une donnée de fond qui rend Taïwan si adaptée à ses habitants. Paris est un paradis pour tous ceux qui n’ont que faire des détails de la législation. (...) Mais dans ce monde sans foi ni loi, les Taïwanais surpassent largement les Français et rien ne les arrête.
Je vieillis, pas de doute. Cela ne me fait pas peur, en réalité, mais adopter à près de cinquante ans la profession de détective privé, c'est jouer une mauvaise blague à son organisme.