Élisabeth Larcher

La reine est plus tolérante que le roi et elle est très sensible aux signes. Elle est parvenue à persuader le roi de faire annuler la mascarade !
Diane chasseresse… La mascarade… Le roi…

Où était son Isabelle ? L’impétueuse, la frondeuse Isabelle qui avait croisé son chemin quelques jours plus tôt dans la forêt de Coulanges ? Et qui avait été assez vil pour lui faire subir pareil traitement ? Consumé par la rage, Julien la prit dans ses bras et, l’enlevant de la clairière, regagna le chemin.

Pour rien au monde il n’aurait oublié ce doux prénom, et il savait maintenant pourquoi l’image d’une princesse ne le quittait pas. Il avait dans son souvenir ainsi nommé l’apparition du sous-bois, ignorant que la jeune fille avait vu en lui le roi des elfes. Il retenait son souffle en même temps que les suppositions les plus folles se bousculaient dans son esprit, telles des mouches prises au piège d’un bocal. Son cœur s’affolant, il se précipita et se laissa tomber à ses côtés, empli d’épouvante.

Elle avait beau être épuisée, la curiosité, tel un puissant aiguillon, la poussait à maintenir sa tête levée et à observer l’incroyable manifestation. Elle se laissa aller sur le dos pour voir le gigantesque incendie consumant le ciel, fendre l’air au-dessus d’elle. Il lui sembla qu’une éternité s’écoulait dans un vacarme épouvantable et elle se demanda si la fin du monde était arrivée.

Vous oubliez, chère Diane, que le passage d’une comète est souvent le présage d’évènements et de catastrophes qui pourraient assombrir notre ciel et, qui sait, contrecarrer les souhaits de notre souveraine. Le moment béni pourrait tourner court.

En lui prenant sa vertu, il lui avait volé sa vie.

Il n’abandonna ses lèvres que pour mieux se ruer sur son cou, sa poitrine, ses baisers devenant sur sa peau autant de marques au fer rouge. Puis tout alla très vite. D’un violent coup de genou il écarta ses jambes et la pénétra sans retenue, la fulgurance de la douleur lui arrachant un cri. Le souffle coupé, son corps cisaillé, les tempes bourdonnantes, elle aurait pu demander grâce, mais pour rien au monde elle n’aurait fait cette joie à son bourreau.

Elle était rompue et n’avait qu’une hâte, fuir l’auguste présence et ces lieux qui l’oppressaient au point d’étouffer, pour retrouver Blanche et la liberté.

Comment peut-on espérer s’accorder avec des gens que l’on humilie ! dit Isabelle comme pour elle-même, encore sous le choc des révélations de Blanche, oubliant qu’elle parlait devant la reine.

La reine considérait sa visiteuse de ses yeux légèrement saillants, un sourire figé sur son visage, et une éternité sembla s’écouler avant que ne résonnât contre les sombres lambris sa voix chaude et chantante.

Je ne plaisante pas, Isabelle, il est protestant et tu es catholique ! Lui et ses comparses traversent rarement la salle pour venir à la rencontre de l’autre clan. Et cela s’est produit au moment où tu es apparue. Tous les regards étaient posés sur toi, ceux du roi et de la reine. Si tu avais pu voir leurs mines ! Enfin, celle de la reine surtout ! dit-elle avec enthousiasme.

En ce moment Paris ne sent pas seulement les relents de pourriture qui montent de la Seine aux beaux jours, il sent aussi ceux de chair brûlée qui s’élèvent des bûchers où le roi Henri envoie les hérétiques3. Et nous prions pour qu’il ne laisse pas le champ libre à l’Inquisition. Tu comprends maintenant que je ne pouvais t’écrire tout cela.

Les choses ne sont pas aussi simples, Isabelle. Tu ignores tout de la vie à la cour. Elle est loin d’être aussi idyllique qu’on le croit. Les rois aiment à regarder ailleurs. Le roi François était déjà ainsi. Son fils n’est pas différent. Et Catherine a le malheur d’aimer son époux. Elle ne se plaint guère. Diane pense qu’elle a en face d’elle une brebis qu’elle peut manipuler à sa guise. Elle va même jusqu’à la soigner lorsqu’elle est malade. Il ne faudrait pas qu’elle meure. Le roi reprendrait peut-être une épouse plus jeune et plus séduisante qui lui ferait de l’ombre. Catherine n’est pas dupe et elle est loin d’être une brebis, crois-moi ! C’est une louve, une louve qui attend son heure. Elle a énormément souffert dans sa jeunesse et elle s’est forgé un caractère d’acier. Tu l’apprécierais, Isabelle, j’en suis sûre. Vous avez beaucoup de points communs.
— Moi, des points communs avec la reine !
— Oui, elle est déterminée, indépendante, et elle avait l’air d’une… comment dit Sandra ? Ah, oui, une contadina, une paysanne, dans sa jeunesse. Ton père ne dit-il pas que tu es une sauvageonne qui ne trouvera jamais de parti ? railla Blanche en se forçant à rire. Je suis certaine que si le roi Henri venait à disparaître, elle serait une excellente régente et saurait parfaitement

Qu’il était doux d’être si proche, d’être là, presque à les toucher, de caresser impunément du regard ces formes épanouies, promesses de douces félicités, se disait le comte de Lherme, avec un sourire carnassier. Prisonnières du cercle magique de sa lunette, les deux amies devisaient, insouciantes, ignorant être les proies visuelles du comte qui, juché sur sa monture, les observait depuis le couvert de la berge opposée.

Elle souffrait tant depuis ce jour… Elle en avait plaisanté avec son frère le soir même, mais l’image du beau braconnier qu’elle y avait rencontré ne cessait de la hanter.

Enfants, ils avaient longtemps cherché les elfes qui peuplaient leurs contes pour comprendre un jour qu’ils n’étaient qu’une invention des adultes. Elle devinait que son frère évoquait ces images pour la mettre en confiance et ainsi percer le mystère de son retard.

Tu ne peux pas t’égarer, sœurette, tu connais trop bien les bois des environs. Nous les avons assez parcourus ensemble. Père a mordu à l’hameçon, moi non ! affirma-t-il sur un ton plus léger, suspectant néanmoins quelque cachoterie.

Elle revoyait les yeux noirs et frondeurs de cet étrange mercier, encore confondue par son effronterie. Son père l’aurait-il épargné s’il l’avait surpris lui-même sur ses terres en flagrant délit de braconnage ? Si son grand cœur le laissait supposer, ses mémorables colères pouvaient aussi dire le contraire.

Mais l’amour devait lui donner des ailes, se dit Isabelle, un rien méchante. Louis était le fils de Gaston de Marvejols, le meilleur ami du baron, et il accompagnait fréquemment son père lors de ses visites au château. D’une timidité maladive, il restait en général à l’écart et regardait d’un air béat Isabelle et son frère ferrailler dans la cour ou piquer des deux leur monture pour s’envoler vers de folles équipées. Si d’aventure Isabelle lui adressait la parole, il devenait rouge comme une pivoine, ne désirant, semblait-il, qu’une seule chose, disparaître dans un trou de souris. « Il est amoureux de vous, cela se voit comme le nez au milieu de la figure ! » lui avait dit un jour Toinette. Dès lors, Isabelle s’était arrangée pour l’éviter.
— Mes amis, intervint son père, nous devons agir dans le calme. Nous sommes heureusement en juin et il fait jour tard. Nous allons nous répartir en petits groupes qui couvriront la zone de chasse !

Les colifichets et autres fantaisies du genre ne présentent aucun intérêt pour moi ! lui renvoya Isabelle depuis la hauteur de sa monture, Julien la dévisageant comme si elle était tombée de la lune.