On s'habitue à tout. C'est l'atout dont disposent les oppresseurs et les intolérants. Leur victime ploie pour ne pas rompre. L'homme s'adapte pour survivre. La minorité rejoint la majorité. Et tandis que son regard se durcit sur le monde, sa fierté s'avère fragile et malléable comme le crâne d'un nouveau-né. On peut scinder sa personnalité. Alors qu'une partie de soi vit dans l'angoisse et l'humiliation, on fait fonctionner l'autre comme si de rien n'était. Rien de plus simple.
La mort rapproche parfois plus que la vie. On porte ce que l'on aimait désormais sur soi. Jamais plus on n'est pas à la hauteur. On n'a plus rien à perdre. Personne ne vient s'interposer. Ainsi, la mort met pour toujours à l'abri ce qu'elle nous retire.
En Hollande, on compare les prostituées à des chevaux. Les chevaux de labour, dit-on, sont les filles des rues, qui triment péniblement. Puis il y a les belles de nuit ou les gagneuses des musicaux, que l'on considère comme des chevaux de charretiers. Quant aux poulettes en chambre ou aux cocottes tenues discrètement au chaud, qui se sentent supérieures aux autres, elle sont associées aux chevaux d'attelage tirant cabriolets ou carrosses. Enfin, les chevaux de selle se laissent entretenir, quasi honnêtement, comme des femmes mariées.
Peut-être est-ce là l'utilité de tous ces écrivains, qu'ils consignent ce qui m'est extérieur pour que je puisse, tant que je m'entoure d'eux, me consacrer à ce qui vit en moi.
À ce moment-là, je me souviens brusquement que Zélide m'avait déconseillé de réfléchir pour des décisions importantes : prends du recul par rapport à tes doutes, ferme les yeux et inspire profondément à plusieurs reprises. Fais la première chose qui te vient à l'esprit. "La raison, disait-elle, nous offre de nombreuses possibilités à la fois. L'intuition choisit infailliblement parmi elles la meilleure."
Je fermai les yeux.
Une personne ne peut souhaiter qu'une chose à la fois.
J'ai déjà entendu tout ce qu'un homme peut dire à une femme. Je trouve toujours que les compliments sur le physique ont quelque chose de triste, en tout cas lors d'une première rencontre. L'homme paraît d'emblée fatigué de ses obligations. Il doit se livrer à un exercice auquel il ne croit pas lui-même, lourd comme un cheval de trait auquel on demanderait d'effectuer un numéro de dressage. Certaines femmes vivent pour entendre des mots ...
On en apprend trop sur soi-même dans le regard des autres. On a plus confiance dans la façon dont on nous considère que dans la façon dont on se voit.
Pour choisir une voie que personne d'autre n'emprunte, il faut plus de force que je n'ai pu en rassembler dans cette vie.
Ce fut le tournant. Si elle peut m'aider à résister à une telle épreuve, pensai-je, ma raison peut me sauver partout. C'était comme si ma maladie prenait ainsi un sens, comme si tout avait servi à amener cette sensation. Aussi je décidais, si je guérissais, de me laisser guider le restant de ma vie par la raison. Après avoir pris cette décision, j'osais quitter mon fort dans les nuages et retourner aux décombres de ma vie.
Mes bons souvenirs étant si rares et si précieux, je les ai consignés dans mes pensées, comme un peintre fixe une scène sur la toile.