À vrai dire, on ne se rejoint jamais soi-même. C'est ce qui pourrait faire croire à l'éternité de l'âme… As-tu remarqué que les hommes n'ont d'idées arrêtées que sur les choses auxquelles ils n'ont jamais réfléchi ? Mais l'expression "arrêtées" est fausse. Une idée qui se met en mouvement ne s'arrête plus…
L'envahissement par tous les pores de tant de chaleur, de tant de lumière, qui d'abord ne laisse qu'une impression de fatigue, c'est de la force qui infuse. Bienfaisant accablement, d'où l'on sort pour vivre une vie multipliée. Car la peau a besoin de respirer, de boire, de voir, d'entendre. En Europe le vêtement s'est substitué à la peau, les sensations n'arrivent qu'à travers des couches de laine, on a des sens de mouton. Ici le moindre souffle, le moindre rayon, sont reçus par tous les sens à la fois. Cela caresse un épiderme chatouilleux comme celui d'un cheval de race. Par la nudité on appartient aux éléments.
Nul pays ne déçoit qu'on explore en profondeur. La satiété est une maladie de touriste. Il faut savoir tourner la page. Le monde, vois-tu, le moindre coin du monde, est un livre des mille et une nuit, et mille et une signifie qu'on ne s'arrêtera pas à mille, ni à cent mille... Il y aura toujours une unité à mettre au bout de l'infini.
Je flottai ainsi, dégagé de mon corps, pendant longtemps. Ivresse légère, comparable à celle du haschisch, où les pensées sont si ténues et offrent à chaque instant de si nombreux points de bifurcation qu'on n'en peut suivre le fil. Chaque embryon d'idée se désagrège avant qu'on l'ait saisi. On se sent extrêmement subtil, mais incapable d'exprimer les merveilles intellectuelles dont on s'éblouit, car suffirait-il d'un mot, ce mot sera toujours trop long ; on n'aura pas fini de le prononcer que l'idée est périmée et l'esprit déjà engagé dans la recherche de ses répercussions innombrables.
Il faut regarder le monde et soi-même à l'envers. Alors tout perd sa réalité et trouve sa vérité.