Normand Chaurette (GG 2012, essais) à la conférence de presse du Conseil des arts du Canada annonçant les gagnants des Prix littéraires du Gouverneur général 2012.
ANNE. Et vous n’entendiez pas non plus les pleurs de notre enfant, ce pauvre petit marmot qui se tortillait dans le moïse, déjà contraint, à peine âgé de deux jours, à l’idée d’un martèlement, à l’absence de répit, au recommencement toujours, à l’éternelle reprise en si bémol. Au centre d’une vie qui ne faisait que commencer, il avait déjà compris que Mozart – Mozart ! – passerait toujours avant lui.
La musique de Robert Schumann est douce, enveloppante et parfois si passionnée que, même à ses heures les plus inoffensives, il s’en dégage une impression de tempête qui alerte les fous. Ce doit être la raison pour laquelle j’ai aimé Vanessa. Sa vie était un énorme malentendu se traduisant par de longs entretiens avec le piano, où tout semblait se résoudre en apparence, mais où l’on sentait, plus que jamais, une brisure. Je n’aurais su dire s’il s’agissait d’un trait particulier à la musique de Schumann ou si cette fébrilité venait de l’interprétation de Vanessa. Par le mélange des deux, probablement, celle-ci semblait évoquer d’anciens secrets avec plus de précision que ne l’auraient fait les mots. La musique étant ce qu’elle est, j’eus plus d’une fois l’impression qu’un récit m’était conté.
Le 20 janvier 1483, à Londres, un climat d'épouvante règne dans le château royal, enseveli sous la neige. Le roi Edouard agonise.
Dans les coulisses, on s'apprête à assassiner les enfants d'Edouard et d'Elisabeth.
Mère, épouse, veuve, fille et soeur de roi, ex reines putatives, ces femmes qui tantôt s'affrontent, tantôt s'épanchent n'ont en réalité que bien peu de prise sur leur destin et sur celui de cette maison qui n'est plus qu'un "entonnoir où tout se mélange et s'écoule dans la bouche pourrie de la mort".....
(extrait de "Répertoire du Théâtre contemporain de langue française" de Claude Confortès, paru en 2000 aux éditions Nathan)
LILI. Les propos que j’entretiens avec nos objets d’héritage me font oublier la tyrannie que nous exerçons ma sœur et moi sur ces pauvres Steinway qui nous craignent comme des chiens ; nous avons capturé leur imagination.
ANNE. Il aurait fallu capturer celle de vos assiettes.
IRÈNE. Plus rien ne va dans cette maison. Cette odeur de putréfaction, vous savez, ça ne va pas du tout. Que fait votre sœur tandis que vous conversez avec vos assiettes ?
ANNE. Comme c’est incroyable, j’en ai la chair de poule, regardez mon bras, comme c’est effrayant, quand je pense que notre fils a décidé de se pendre.
LILI, excédée. Vous venez encore une fois de devancer une réplique importante. Vous défilez votre texte sans y mettre la moindre intelligence. Vous ne pouvez pas savoir que notre fils a décidé de se pendre car il faut d’abord qu’on vous l’annonce.
Iago, dont j'espère un cri d'encouragement, jette à peine un regard. Il attend qu'Othello sorte. Après, il me toise. Une flamme, une lueur devrais-je dire, de désir mêlée d'impatience. Comme il paraît me trouver lent à réagir ͂ ! En attendant que je trouve, il passe de longues heures sous la douche, à diluer les résidus d'essence qui ont adhéré à ses fringues à force de séjourner dans des égouts et des citernes. Mars en Scorpion. Il s'abat par terre, apparemment ivre mort. Mais il ne boit que l'eau dont il est fait. Quand il est recroquevillé au sol, il fait monter des éléments de réponses, depuis mes pieds jusqu'à la tête. Il parle trop peu chez Verdi, beaucoup trop chez Shakespeare. Sa vraie nature doit se situer quelque part entre les deux. Quelque part au centre géométrique de moi-même. Dans l'amour excessif que je porte à la musique de l'opéra, j'en viens, en contemplant le corps fatigué d'Iago à mes pieds, à me demander, à voix haute, si le problème n'est pas aussi chez Verdi.
IRÈNE. Alors comment peux-tu savoir que le degré de froideur répondait aux normes acceptables ?
LILI, soufflant la réplique. « Il me l’a dit. »
ANNE. Il me l’a dit.
IRÈNE. Peut-on se fier à sa parole ?
LILI. Pourquoi mettre en doute l’intégrité de notre frigidaire ?
CÉCILE. Vous subodorez partout le mensonge.
Personne ne peut commenter l'absolu de l'autre, sinon en invoquant un mode d'emploi bourré de lieux communs. Vous me voyez, mais en réalité, vous ne pouvez que me supposer. Vous me créer de toute pièce parce que je suis un matériau qui offre de l'intérêt.
Filles et fleurs sont douées d'émanations qui adoucissent l'horreur du genre humain.
LILI. J'ai préparé du thé.
IRÈNE. Comme vous avez le teint pâle !
LILI. De choses et autres. Nous ne faisions que bavarder en vous attendant.