Il y eut un silence majestueux, sacré, comme si le monde était mort, comme si le globe terrestre s'était arrêté dans sa course, et ensuite, soudain, de toutes parts surgit la foule affligée qui pleurait, malade de douleur, orpheline parce que son Père l'avait abandonnée. Les églises avaient fermé leurs portes pour que personne n'y puisse entrer; on avait excommunié Tolstoï depuis longtemps. Mais la foule les entourait, les noyait, les convertissait en quelque chose de trivial devant le chêne tombé : la terre était morte et la Russie pleurait.
" Le lit est tout le mariage ."
Balzac.
Tout était allé pour le mieux jusqu’à l’instant où, en cassant une patte de crabe et en entendant derrière elle sauter un bouchon de champagne, elle s’était laissée gagner par une mauvaise pensée
: La lecture due au hasard de quelques pages de la Physiologie du mariage de Balzac l’avait conduite à la conclusion que la plupart des femmes, peu d’années après leurs noces, n’éprouvent plus pour leur mari qu’une profonde aversion, une répulsion presque absolue, résultat courant de la tyrannie tellement arbitraire à laquelle elles sont souvent soumises.
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La première chose qu’elle avait copiée dans le cahier bleu, c’était une affirmation catégorique de l’écrivain français : « Le lit est tout le mariage ».
Jacqueline Cascorro, protagoniste de ce récit, a connu pendant la plus grande partie de sa vie les expériences conjugales courantes : extases, querelles, tromperies, crises et réconciliation. Tout a changé en un instant quand, en brisant avec les doigts une pince de crabe et en entendant sauter derrière elle un bouchon de champagne, elle s’est laissé gagner par une pensée qui allait revenir la hanter par intermittence et faire d’elle, à jamais, une femme aux très mauvaises idées.
Pour Jacqueline, la vie était devenue plus intéressante et plus belle ; son mariage ne s’en portait que mieux. Elle se rendait moins souvent chez Margara Armengol et, les rares fois où elle assistait à l’une de ses soirées, elle ne harcelait plus l’assistance avec sa sempiternelle histoire de fleur exquise écrasée sous la botte d’un mari brutal, emporté et tyrannique.
De temps en temps, Jacqueline se rendait dans une librairie et achetait trois ou quatre nouveautés. Avec de gros efforts, elle les feuilletait, lisait les quatrièmes de couverture et se donnait l’impression de tenir sa culture à jour.
Comme à d'autres moments de sa vie, ses actes et les faits mêmes lui parurent avoir lieu dans un décor onirique où elle était à la fois protagoniste et témoin qui enregistrait et pesait ce qui arrivait.
« Le commencement d’une liaison amoureuse est pareil à l’aurore », aimait à dire Margara Armengol.