Nadine Cretin

Autrefois en Bretagne, en Catalogne, en Grande-Bretagne, en Irlande (sauf l'Ulster), ce même jour -ou un jour avoisinant- permettait une tournée porte-bonheur pour les jeunes gens masqués qui allaient de porte en porte avec un roitelet vivant ou mort enfermé dans une cage (une boîte, ou wren box) enrubannée, ou attachée ou bout d'une grande perche les ailes déployées dans un bouquet de verdure. On leur offrait une petite rétribution ou de la nourriture (pain, beurre, œufs ...) et en échange, on gardait une plume protectrice. Après la tournée, les jeunes gens enterraient solennellement le petit animal au cimetière.

La nature à l'état brut est en effet présente dans les très anciennes mascarades des tournées du Nouvel An, par exemple dans les costumes faits de mousse, d'écorce, de paille, de pommes de pin ... que portent encore maintenant certains Sylverterklaüse suisses de l'Appenzell ("Nicolas" de la Saint-Sylvestre, dits Naturklause), ou dans les déguisements d'animaux sauvages (cerfs, ours, loups, boucs ...) connus dans la Rome antique au moments des calendes de janvier.

Cette course des Luperques, jeunes gens de l'aristocratie à demi-nus et vêtus de peaux de boucs en l'honneur de Faunus, dieu des troupeaux, avait pour but de purifier villes et habitants après les souillures de l'hiver. Incursion d'homme à l'aspect sauvage dans le monde civilisé, cette manifestation annonciatrice de vigueur et de fécondité présentait des traits carnavalesques communs à toute l'Europe pour un passage heureux vers la nouvelle année.

Selon Pline l'Ancien au 1er siècle, les Celtes n'avaient "rien de plus sacré" que le gui ("celui qui guérit tout") provenant du rouvre. Ils voyaient dans ce "rameau d'or", capable de conduire à la fois à l'obscurité et au renouveau, un signe envoyé du ciel qu'ils recueillaient en grande pompe au sixième jour de la lune.

(L'expression est de Virgile, dans l'Énéide. Ce rameau d'or avait permis à Énée de descendre aux Enfers et d'en revenir).

Ces deux fêtes sont parfaitement résumées dans la figure du dieu spécifiquement romain Janus bifrons ("double face") qui regarde d'un côté l'année passée et le temps écoulé, et de l'autre la nouvelle et le temps à venir. Ce dieu très complexe du passage spatial et temporel a d'ailleurs donné son nom au mois de "janvier".

D'origine védique, le culte du très ancien dieu Mithra, dieu-soleil et porteur de lumière, fut naturellement identifié avec le culte perse du Sol invictus. Celui-ci, venu d'Asie Mineure, était en vogue à Rome dans l'armée et l'aristocratie à la fin du 1er siècle et, en 274, l'empereur Aurélien déclara le mithriacisme religion officielle de l'Empire romain. Le culte mithriaque, et d'une manière plus générale, le culte du soleil, eut beaucoup de relief et de popularité au IIIe et IVe siècles. Les adeptes de ce culte célébraient la naissance de Mithra au solstice d'hiver, et le 25 décembre devint officiellement le Natalis Solis invicti.

Tout en se diversifiant selon les régions, ces antiques coutumes du solstice survivent dans nos fêtes de Noël, et elles se caractérisent par leur permanence en Europe : présence de la végétation dans les maisons et de la bûche dans les cheminées, multiplication des lumières pour conjurer l'obscurité et l'inquiétude qu'elle engendre, confection de grands repas (avec, parfois, élection d'un roi de fantaisie), desserts aux nombreux ingrédients, solidarité envers les nécessiteux, tournées et quêtes des enfants qui chantent leurs vœux de maison en maison, générosité d'un énigmatique distributeur de cadeaux.

L'origine de ces fêtes d'inversion très complexes, liées à l'inversion des mouvements du Soleil et la course alternative des temps , remonte au-delà de la fondation de Rome puisque certains aspects étaient déjà connus en Grèce antique (lors des Cronies en l'honneur de Cronos ou des Anthestéries consacrées à Dionysos).

A la suite de Platon, Claude Gaignebet évoque le mouvement pendulaire du temps mesuré par un immense pendulier à torsion. Chaque extrémité de sa course s'accompagne de purifications qui représentent les fêtes, indispensables recommencements.

Le culte populaire de cet oiselet, qui porte le nom de "roi" dans de nombreuses langues européennes ("roi bertaud", "roi bertrand", roi des oiseaux", "roi de la haie", etc.) est assez obscur. Minuscule et rusé, capable de s'enfouir dans les murailles et d'approcher ainsi le monde chtonien, le roitelet était identifié aux puissances de la nuit. Parce qu'il était réputé messager divin chez les Celtes, les druides avaient recours à lui pour prédire l'avenir et rendre la justice.

Le "temps hors du temps" des Saturnales, période de trêve pendant laquelle on ne pouvait déclarer de guerre et où devait régner une parfaite égalité entre les esclaves et les maîtres, était marqué par l'inversion sociale, des grands banquets sans préséance, des jeux de hasards ou des noix figuraient les enjeux, l'échange de petits cadeaux et l'élection d'un roi de fantaisie ... usages qui préfigurent en partie nos Noëls contemporains ou les fêtes proches.