Jacques Pierre Amette : La maîtresse de
BrechtOlivier BARROT s'entretient avec
Jacques-Pierre AMETTE, auteur
du roman "La maîtresse de
Brecht" publié chez Albin Michel. Ils évoquent la
mémoire de
Bertolt Brecht qui a quitté l'Allemagne Nazie en 1933 pour se rendre à Hollywood, via le Danemark et la Finlande. En 1948, il est de retour en Allemagne de l'Est où le
régime espère faire de lui l'incarnation du renouveau communiste. La...
j'adore les femmes et quand je me dis que c'est une pauvre connasse, je peux la baiser!... mais quand je suis amoureux, je pense que c'est comme si je voyais la Sainte Vierge.
« - Vous m’enchantez, Pors-Even ! Exterminons donc les philosophes ! Passons-les à la broche ! Il prit un couteau et le glissa vers Pors-Even. - Allez-y, percez-moi le coeur ! Tout est permis contre moi, puisque je dénonce les terribles crimes de la religion musulmane. Et ces pauvres diables de voyageurs qui ont les têtes fichées sur des piques devant les portes des villes arabes, vous y songez ? Tuez-moi ! Je veux bien ! Traitez-moi comme un ennemi de la religion, excitez les magistrats, ce n’est pas difficile, ils le sont par nature, et s’ils ne le sont pas, les circonstances les y poussent. »
On se dit que la phrase de Claude Simon possède l’assise d’un auteur latin. C’est la révélation de ce volume II [de la Pléiade] : Simon est un auteur de l’Antiquité, et plus particulièrement un historien romain. Il nous offre un panorama d’un XXème siècle en ruines : ruine de l’humanisme, ruine du roman sentimental et psychologique, ruine des beaux mensonges historiques, ruine du romanesque balzacien, réflexion sur les guerres non pas puniques mais mondiales. C’est un historien des effondrements de son siècle. Il nous offre des plaques de prose, des morceaux de tablettes. Son acharnement de stoïcien, sa fermeté de récitant et de chroniqueur en surplomb sont si évidents. Il ne décrit pas la Rome des Césars, mais le torrent et le cataclysme de la seconde guerre mondiale qui prend sa source en mai-juin 4O, par un cavalier qui s’effondre dans un fossé.
Sa latinité il la proclame : voir sa Bataille de Pharsale et ses Géorgiques. Sa phrase immense, enroulée, triturée, concrète, a la puissance, la hauteur marmoréenne d’une classique écriture pure, régulière, presque impersonnelle, nettoyée de l’Antiquité. Le ton est résolument épique. L’auteur s’éloigne superbement des cuisines romanesques de son époque pour devenir le Tacite de la défaite de 4O. Bien sûr c’est un Tacite des années « Nouveau Roman » qui n’ignore rien du monologue joycien , et du signifiant de Barthes. Il n’ignore rien non plus du fiévreux tohu- bohu faulknérien. Cet aède nous plonge dans le fleuve aux ombres écarlates de l’Histoire, de la guerre. Quel charroi : autant de corps d’hommes que de chevaux, de végétaux que de lumières foisonnantes et frissonnantes, comme s’il avait aussi gardé intacte la fraicheur d’un vaste premier poème du monde. A le relire, il apparaît contemporain d’Ovide, de Lucain (qu’il appréciait ) et de Tacite.
Sa grande originalité, c’est qu’il écrase sa montre.
Pour Simon, le temps n’est qu’éclats coupants de verre qui reflètent soleil et feuillages, photos de famille, visages, paysages dans le flou de la vitesse, quelque chose d’indistinct comme vu par un myope ébloui en été. Les fusions impressionnistes sont mêlées avec un soin ornemental précieux. Les sons se répercutent d’une page à l’autre. De somptueux éclairages à claire- voie, ou des contre- jours laissent apercevoir des corsages baleinés, des soldats républicains dans Barcelone, des Conventionnels à plumet tricolore qui sortent d’un tableau de David. L’Histoire coule, déborde, ruisselle de la bataille de Pharsale à la défaite de Quarante avec charges de cavalerie face à des blindés. Mais dans cette simultanéité temporelle, le tracé d’un crayon sur une feuille de papier pour dessiner et ombrer un ventre de femme vaut tout autant que la vie entière du général d’Empire Lacombe Saint Michel, arrière- -grand-père de la grand-mère maternelle de Claude Simon, figure qui domine les Géorgiques. Ce nivèlement apporte une beauté assez surréaliste.
JACQUES-PIERRE AMETTE
"Notre Voltaire condamne les sottises des fanatismes, mais il aime Dieu. Il pense également que si Dieu n'existait pas, il faudrait l'inventer." (p. 60)
De ce temps, nous nous sommes mis à aimer le rien, l'inutile, l'au-delà, l'exotique, le rétro. Nous marchions d'un lit sur l'autre pour regarder les nuits froides au carreau, les arbres fruitiers enrobés de linge, la lune et les ruelles du quartier.
Nous nous sommes mis à vadrouiller derrière les hangars, vous savez ces coins pleins d'orties, ces voitures à l'abandon avec des herbes qui sortent des portières, ces vaches qui ruminent au soleil, fainéantes et humides, pleines de mouches, le poil rêche.
« Un curieux événement eut lieu très tôt un matin de juillet, dans la chambre de Gabriella. La délicatesse des draps, la suggestion lascive de ses derniers songes firent que l’Italienne rêva de morsures passionnées. La douceur, les soupirs, les pâmoisons des hommes accompagnaient d’ordinaire ses réveils pour former un étrange mélange de confusion sensuelle et de désir de brutalité. Ses pieds eurent beaucoup de grâce à traverser le couloir. Elle pénétra en somnambule dans la chambre du comte. Dans la semi-obscurité, elle aperçut une assiette de fruits, une couronne de laurier, un uniforme vert foncé galonné de blanc. Le comte dormait perpendiculairement aux draps. Elle approcha de la bouche ouverte, du corps presque nu, grave et blanc. Sa respiration était si profonde, si régulière qu’elle pensa à un mécanisme d’horlogerie. Elle se dit : il dort en paix, de la même façon qu’il doit aimer. »
« Mais le plus intéressant flottait, tiédissait, plus sauvage encore : une barque vide, plate. Ses rames, parmi des frissons de reflets, dégageaient une odeur exaltante de résine. On la croyait immobile, mais elle dérivait sur les dessins secrets, fugaces de la surface. Elle tournait insensiblement de l’ombre au soleil. Elle baignait parfois dans le vide énigmatique du ciel, parfois grinçait et pivotait sur un impalpable reflet. Elle pénétrait dans l’obscurité. Elle tournait sur les ondes, perdue dans les zones troubles d’un étang formant miroir. Zanetta suivait cette barque, ses déplacements infimes. Il y avait un secret ici. »
Il n'y a que le moment présent, éternel, insipide, un éblouissement qui vous accompagne, quelque chose qui dure des heures et des heures puis s'épanouit en vieillesse
- Pourquoi tu la baises pas? Tu la raccompagnes à l'ouest et tu la baises à l'ouest
- Je ne veux pas
- Tu ne peux pas
- Non
- Tu veux que je te dise
- non
.... ... ... ... ...
- Tu es bloqué, ...
... ... ... ... ... ...
-... ... .... j'adore les femmes et quand je me dis que c'est une pauvre connasse, je peux la baiser!... mais quand je suis amoureux, je pense que c'est comme si je voyais la Sainte Vierge. Est-ce que tu vois ce que je veux dire?
- Non.
Henry termine sa tasse et laisse au fond une traînée caramélisée. Les grandes lignes nuageuses apparaissent derrière les pins, c'est simple, un flottement entre les vides, le ciel s'élargit en fleuve calme. Quelque chose rend muet. L'intuition d'un royaume, là, si haut, si vaste, qu'il en émane une volupté sommaire.