
"Monstrueuse féérie" ou le Bestiaire des rêves
Avec le conte, « Monstrueuse féérie », de Laurent Pépin, publié aux éditions Fables Fertiles, « L’épanchement du songe dans la vie réelle » de Nerval prend un relief tout particulier, insolite et envoûtant.
Sous des dehors de sobriété et de simplicité, le texte de Laurent Pépin entrouvre les portes de la perception pour laisser les Monstres faire leur lit de nos terreurs, de nos effrois d’enfance ; car, comme écrivait Michaux, « La nuit remue » en nous, le narrateur ouvre sa nuit intérieure à ce qui le hante, et cela remue, cafards, bêtes empaillées, hommes et femmes toxiques ou parents saturniens, prêts pour la dévoration des enfants.
Et pourtant, le narrateur, psychologue clinicien, se plaît à se confronter aux « Monuments », à la fois attachants et bouleversants, ceux que l’on nomme les « fous » et, dans sa vie déchirante, l’espoir survient, une Elfe, l’effraction de l’amour dans le désert des solitudes. Le conte vient alors faire battre le cœur en féérie, les instants passés avec cet être fantasque relèvent d’un autre monde rêvé, plus réel que le réel.
Mais les enfants dépossédés de l’amour peuvent parfois devenir des adultes « possédés » ; il en est ainsi du narrateur qui développe, peu à peu, des rites de possession intimes vis-à-vis de l’Elfe, elle qui tentait de le sauver de ses démons ; mais les elfes ne respirent qu’en liberté : les enfermer, c’est les perdre, et c’est aussi, pour celui qui emprisonne, la perte de la raison, les mutilations, l’intrusion du bestiaire des rêves, toute une cosmogonie de monstres et de fin du monde. Laurent Pépin écrit : « J’y suis allé, moi, à la fin du monde. Les bords du Monde, c’est juste un fin rideau peint aux couleurs d’un ciel étoilé. Quand on le soulève en tirant dessus par la languette, il n’y a rien derrière. »
L'auteur nous l’apprend : rêver, c’est être rêvé : le néant nous absorbe, investit notre vie. Les monstres ne sont bientôt plus en nous: ils deviennent ce que nous sommes. Impossible de les circonvenir : ils reviennent, obstinés, têtus et toujours douloureusement invasifs.
Merci à l’auteur pour être allé si loin dans l’auscultation de ses terreurs les plus intimes et merci de nous emporter ainsi avec lui, dans l’effroi ou l’amour retrouvé, grâce à son style dépouillé et visionnaire, jusqu’à la fin de ce conte, si poignante et si belle.
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