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L’élément qui m’a le plus agacé à la lecture de ce livre est sans aucun doute sa narration trop hachée à mon goût. Craig Thompson coupe trop souvent la linéarité de son récit, que ce soit en y intégrant des passages explicatifs (sur les carrés magiques par exemple), en faisant des voyages entre le passé et le présent des deux personnages principaux, Dodola et Zam, (dès le départ, il développe trois lignes temporelles – on suit Dodola et Zam à trois moments de leur vie - et fait fréquemment des bonds entre chacune d’elles), en faisant des ellipses à l’intérieur d’une même ligne temporelle ou en relayant les histoires racontées par Dodola (histoires courtes, mais tout de même souvent coupées en deux ou trois- Pourquoi?). Les séquences présentant une unité de lieu et de temps sont la plupart du temps trop brèves. J’aurais aimé qu’elles soient plus longues, surtout au début, quand on essaie d’entrer dans l’histoire. Non seulement l’histoire est marquée par de nombreuses coupures, mais, en plus, les transitions entre les différentes séquences sont souvent trop abruptes, voire inexistantes. J’ai eu parfois l’impression que l’auteur avait simplement accolé les uns à la suite des autres des extraits de plusieurs chapitres ou de plusieurs tomes différents (si Habibi avait été divisé en tomes). La lecture est ainsi moins fluide qu’elle pourrait l’être. Le caractère décousu du récit n’aide pas à s’attacher aux personnages, ce que je n’ai d’ailleurs pas réussi à faire. J’ai eu le sentiment lors de ma lecture que les personnages, en particulier les personnages secondaires, ne sonnaient pas vrai, étaient désincarnés. Certains personnages secondaires avaient même l’air de n’exister que pour communiquer des informations au lecteur. Ils semblaient davantage tenir du robot que de l’être vivant. Tout cela explique en grande partie ma note de 3 étoiles. D’autres aspects de Habibi m’ont aussi dérangé, mais dans une moindre mesure. Il est probable que beaucoup de lecteurs de la BD ne s’y arrêteront pas. Je tiens quand même à les mentionner. Premièrement, Habibi n’est qu’une longue suite de malheurs : viols, pédophilie, esclavage, viols, mariage forcé et précoce, pauvreté abjecte, viols, maladies, mutilation, meurtres, viols, désir de suicide pour cause de désirs incestueux -ou perçus comme tels- et j’en passe (ah! Est-ce que je vous ai mentionné aussi les viols?). À force, ça devient lourd. Si vous cherchez un livre plein de gaieté et d’humour, passez votre chemin. Deuxièmement, la religion est très présente dans Habibi. Si vous avez envie comme moi de pousser un soupir agacé à chaque fois que vous lisez le récit du presque sacrifice d’Ismaël (ou d’Isaac, selon les versions) ou celui de la vie de Noé (qui sacrifie les animaux de l’arche après les avoir sauvés); si vous avez envie de crier quand vous lisez pour la vingtième fois que dieu est miséricordieux et compatissant alors qu’il ne cesse dans l’ancien testament de déchaîner des calamités sur les hommes et de faire preuve d’un sadisme pervers et d’un manque d’humanité flagrant dans ses interactions avec les humains, encore une fois vous feriez peut-être mieux de passer votre chemin. Troisièmement, un Moyen-Orient moyenâgeux et un Moyen-Orient moderne se côtoient dans Habibi. Cette cohabitation est parfois étrange. Des fois, on peut rester dans le premier des deux mondes durant une centaine de pages ou plus, puis soudain voir surgir la modernité sous la forme d’une voiture ou d’un système de plomberie sophistiqué. Craig Thompson campe une partie de son histoire dans le monde moderne pour pouvoir faire une critique de ce dernier. À mon avis, il a voulu mettre trop de choses dans son livre. Sa critique aurait pu faire l’objet d’une autre BD. Elle vient dévier l’attention du lecteur du sort des deux personnages principaux et n’est pas nécessaire à l’histoire. Elle aurait très bien pu ne pas y figurer, comme les représentations du monde moderne d’ailleurs. Avec quelques modifications mineures, l’histoire aurait pu se dérouler entièrement au Moyen Âge. Finalement, mon dernier bémol concerne la fin de Habibi. Elle est selon moi trop abrupte. L’histoire aurait dû s’arrêter à la page 648. Le dessin vient heureusement en partie rattraper le reste. Toutes les critiques le disent : il est magnifique, incroyable, splendide, très détaillé, somptueux, époustouflant, etc, etc. C’est vrai qu’il est pas dégueu… Le Craig Thompson dessinateur a sans aucun doute plus de talent que le Craig Thompson scénariste. + Lire la suite |