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Yamato est la Province autour de l'ancienne capitale japonaise, puis par extension le Japon tout entier (si j'ai bien synthétisé mes recherches succinctes sur le net.) À travers cinq histoires narrées à la première personne par cinq personnages différents qui vivent et se débattent dans l'Histoire, dans leur famille et dans la société, le lecteur s'identifie tour à tour à un jeune cadre ambitieux, un vieux cadre hanté par la disparition de son père, un professeur chrétien converti, une jeune femme puis une femme âgée et il a plaisir à voir le monde avec leur sensibilité. Ce cycle montre aussi en passant que la génération qui a souffert de la Seconde Guerre et qui devient active dans l’immédiate après-guerre est élevée dans la conviction que la guerre commerciale doit être menée avec abnégation pour prendre une revanche sur la défaite de 1945. La génération suivante n'a pas forcément autant souffert mais elle est encore contrainte par les bienséances et les impératifs sociaux de respectabilité et de réussite normée. La dernière génération que nous voyons poindre à travers de jeunes personnages secondaires vus par les anciens se veut plus individualiste tout en se posant des questions sur la société. Elle veut s’émanciper et elle retrouve parfois des réflexes "bien japonais". Ressentir les peines et les joies de ces personnes permet aussi au lecteur occidental de se décentrer et d'entrevoir un autre point de vue sur l'Histoire, en particulier sur la Russie et les États-Unis. À travers chaque tome, on découvre aussi et surtout la vie quotidienne des Japonais : les arts et la littérature dont plusieurs personnages sont passionnés, la présence de la cérémonie du thé, de l'ikebana, de la cuisine ainsi que les usages et les codes sociaux souvent implicites. Le style est très simple car l'auteure est une Japonaise émigrée au Québec à l'âge adulte et qui écrit en français. Mais en insérant des mots japonais non traduits dans le texte et un glossaire de seulement deux pages à la fin de chaque titre, elle nous fait un tout petit peu entrer de la meilleure façon qui soit, par la langue, et comme le promet le titre du cycle, au coeur de ce pays, et dans les coeurs des Japonais. Une pentalogie toute en retenue et en allusions, instructive et très émouvante.

L'histoire de Takashi Aoki, jeune employé d'une compagnie commerciale réputée. Son ambition et son histoire d'amour avec Yûko, la charmante réceptionniste. Mitsuba est le nom d'un café où ils se retrouvent et c'est également le nom d'une plante aromatique à la texture croquante, la saveur rafraîchissante et au goût légèrement amer... Un premier tome qui laisse "en bouche" et en tête cette fraîcheur autant que cette amertume et qui met en appétit pour poursuivre le cycle.

L'histoire de Tsuyoshi Toda, le supérieur de Takashi Aoki. Un homme intègre et bienveillant, hanté par la disparition de son père en Sibérie à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Ce tome le met en lumière au moment où il fait la découverte du secret de ce père tandis que sa mère perd la raison en continuant d'attendre son époux. Si dans ce livre Zakuro est le nom d'un restaurant, c'est d'abord celui du grenadier. C'est aussi un symbole de la bêtise... Encore un beau portrait et une plongée dans l'Histoire à travers les ravages qu'elle fait sur des êtres de chair et de sang.

L'histoire de Nobu (collègue pendant un temps de Takashi Aoki) qui a quitté la compagnie commerciale et fondé une école du soir pour ne pas être contraint de voyager et pour privilégier sa vie de famille. Le souvenir de son père, professeur à la fin tragique, le tourmente. Le retour d'un ancien élève de son père va remuer ses souvenirs. Tonbo est le nom d'une libellule qu'il a donné à son école en souvenir de son père passionné d'entomologie, mais il est riche de bien d'autres significations... Encore un très beau titre, léger et discret comme une aquarelle.

L'histoire de la belle, intelligente et distinguée Yûko, treize après qu'elle se soit fiancée avec Takashi Aoki. Épouse et mère comblée, une révélation cuisante l'attend. Tsukushi, c'est la prêle des champs : elle signifie la surprise... La surprise est terrible, ce tome est le plus triste du cycle.

L'histoire de Aïko, l'épouse de Tsuyoshi Toda depuis cinquante-six ans. Maîtresse de cérémonie du thé, elle l'a suivi dans tous ses déplacements. Elle porte un regard paisible sur son passé même si elle a eu aussi son lot de douleurs. Mais le coup de foudre, le mariage et la vie avec Tsuyoshi ont rempli sa vie. Sans enfant, elle et son époux ont su vivre avec droiture dans le monde et bienveillance envers leurs semblables. Le Yamabuki est une fleur de couleur jaune, importante dans la culture japonaise : elle est présente dans la littérature et symbolise la distinction... Si ce tome clôt la pentalogie avec le personnage le plus âgé du cycle, c'est aussi car il se déroule en dernier, en 2004. Les discussions de Aïko avec la petite-nièce de son mari donnent un éclairage sur les débats contemporains sur le nucléaire au Japon. Ce dernier tome est aussi le plus poignant et le plus beau à mon avis : c'est d'abord une histoire d'amour magnifique, indéfectible et sans démonstration. Une leçon de bonheur aussi, bonheur qu'on se construit malgré les drames. Et un élan d'espoir malgré tout, porté par une vieille dame au soir de sa vie.