Les ouvrages de Géricault sont répandus çà et là dans les cabinets des artistes ou des amateurs. M. Eugène Delacroix possède plusieurs études de ce maître, notamment deux magnifiques copies de Rubens et de Paul Véronèse. Celle d''après Rubens témoigne évidemment des dispositions de Géricault pour la couleur. Elle est faite avec justesse pour les tons, quoique un peu plus froidement. Les demi-teintes y sont entre le brun et Pazuré, c'est-à-dire entre Jordaëns et Van Dyck. La copie d''après Véronèse est celle du plafond qui couronne une des chambres de Louis XIV à Versailles, plafond rempli de lumière et de mouvement, et dont les plus beaux effets de couleur sont savamment reproduits. On voit aussi dans le cabinet de M. Eugène Delacroix, une esquisse de Jacob bénissant ses enfants, et plusieurs têtes groupées en un même cadre, d'après Titien et Velasquez, têtes pleines de couleur et de vie, traitées d'un pinceau gras et ferme.
Au lieu de continuer ses fortes études, Géricault abandonna tout à coup la peinture pour s'engager dans les mousquetaires. On était en 1814, et il y avait alors autour des Bourbons revenus au trône une sorte de jeunesse dorée, qui s'était organisée en corps d''élite pour témoigner de son dévouement à la dynastie restaurée, et aussi pour le secret plaisir de se distinguer par un magnifique uniforme où l'or se mêlait à l'écarlate. Géricault avait beaucoup d'amis parmi ces jeunes aristocrates, et ils lui persuadèrent de quitter ses pinceaux.
Il manque au Naufrage de la Méduse l'immensité de la mer. Le peu qu'on en voit, il est vrai, est d'une beauté rare. Jamais je n'ai vu mieux peindre les eaux de la mer, ces eaux lourdes, profondes, où les corps ne s'enfoncent que lentement, et qui, dans les temps d''orage, perdent leur transparence, au point qu'on peut presque dire sans exagération qu'elles ont une apparence de solidité; mais celle exécution magnifique ne rachète pas l'absence de l'impression que produirait l'aspect de l'Océan se mêlant au ciel de toutes parts.