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EAN : 9798368004198
408 pages
Auto édition (11/12/2022)
5/5   1 notes
Résumé :
Alice est libraire. En province. Ses routines l'engluent dans une poisseuse monotonie.
Elle rédige et archive méthodiquement des fiches de lecture que personne ne consulte ni ne réclame. Paresseusement, lors de son temps libre, elle écrit... un roman !

Les clients de sa boutique n'achètent que des livres insipides qu'elle s'est efforcée de lire. Tous... lus, annotés, synthétisés... avec expertise ; pourtant, au fond de sa librairie, dans une om... >Voir plus
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Critiques, Analyses et Avis (1) Ajouter une critique
N'IMPORTE, de Valérie Cormier, invite à plusieurs lectures.
Privilège des riches.

Alice, libraire, choie ses auteurs de prédilection. Comme vous, comme nous. Part-elle en voyage, elle glisse dans son bagage, entre autres, un London. Pas besoin du prénom. Un London.

Un soir où la lumière décroît dans sa boutique, une nouveauté littéraire, emportée dans sa chambre et qui avait échappé à son attention jusque-là, subjugue la jeune femme. L'auteur s'appelle Martin, comme Martin ; et Verger comme Éden. Martin Éden, créature de Jack London.
Éden subjugue ses lecteurs ; Verger, Alice.

Jack London est fin ; il ne donne jamais le moindre extrait des écrits de son héros. Il nous demande d'accepter de croire que ce qui coule de la plume (du clavier de sa machine à écrire) de Martin Éden est ambroisie. Valérie Cormier est fine, elle ne nous donne pas à lire la prose qui subjugue. le lecteur n'est pas invité à la subjugation. La libraire seule est subjuguée. Point. L'auteur va nous donner à lire les conséquences de ce pouvoir des mots exercé sur la jeune femme. Quand un myrmécologue explique que la fourmi dépose des phéromones sur son trajet, le lecteur ne demande pas à humer ni goûter parfum ou texture, il veut savoir le rôle de ces substances, leur conséquence sur le quotidien des bestioles, etc.

Chez London, Lizzie s'attache à Martin. L'admire. Lizzie donnerait sa vie pour Martin mais celui-ci, écoeuré par l'hypocrisie de la société, ne la voit pas ; il embarque seul vers une île dont il ne foulera jamais le sol. Lizzie, la groupie de l'artiste, le regarde s'éloigner. Lizzie n'a pas su ni pu retenir Martin. Elle s'est perdue dans son « admiration molle ».

En voiture, Alice fredonne La Groupie du pianiste de Michel Berger. C'est une chanson qui se trouve dans la play-list de la jeune femme, depuis longtemps. Pourtant, ce soir-là, Alice bascule ou constate qu'elle a basculé.

« Tandis qu'elle conduisait, elle écouta La Groupie du pianiste, et il lui sembla qu'elle l'entendait pour la première fois, ou d'une oreille neuve du moins, et que ses écoutes précédentes n'avaient été que superficielles et distraites. Aujourd'hui, sans doute parce que son esprit ne s'était concentré sur rien de précis – disons sur aucune pensée organisée – elle s'était tout à fait focalisée sur ce texte, étrangement. Elle y avait vu la jeune fille candide, adoratrice du pianiste au point de s'oublier, engluée dans un rapport de fascination si fort et d'une abnégation qui lui parut, pour la première fois, insensée. Son esprit s'était égaré tout à fait dans ces paroles pourtant simples. N'est-ce pas aussi le but d'un texte, que de se faire le commencement d'une réflexion ? Elle l'avait soudain trouvé profond, empli de sens et s'était prêtée, en conduisant, à une interprétation nouvelle qui l'éblouit brusquement. Comme une révélation. Elle avait imaginé soudain une femme, n'importe laquelle, rencontrant enfin le génie de son art de prédilection. Et surtout, surtout ! son bel avenir, qu'elle avait alors à gâcher à son contact, à s'imprégner de lui, à se savoir à la droite de Dieu. Quelle place plus valorisante pour elle ? Qu'est-ce qui vaudrait plus que cela à ses yeux ? Avant cette écoute elle avait toujours eu de la tendresse pour la groupie du pianiste. Elle était l'admiratrice absolue. Et ce don de soi, elle y trouvait quelque chose d'élevé et de très noble. Comme lorsque Anaïs Nin étouffait d'amour dans l'ombre de Miller : que c'était beau, cette abnégation subjuguée ! N'est-ce pas la place d'une femme, que de se camper dans une position d'admiratrice de l'inégalable ? Et de surtout, surtout garder cette place confortable d'individu perpétuellement inférieur ? Comme elle avait eu tort alors ! Voilà à quoi elle avait songé dans sa voiture. Quelle insulte faite à l'art, et même à l'artiste, que cette admiration molle ! Elle le réalisait tout à fait à présent. »

Alice n'est pas Lizzie. En elle, coulerait plutôt le sang de Martin Éden, le Martin d'avant le désenchantement.

Une osmose s'est produite entre la petite libraire et l'écrivain dont le style fascine. Non ! Produire n'est pas le bon verbe. Cette osmose, c'est Alice qui en a été le maître d'oeuvre, elle qui l'a voulue. Une transfusion, une phagocytose...

Oh, là, là, tous ces mots empruntés au registre scientifique. Pourtant, la quatrième de couverture parle d'une écriture entomologiste. Il s'agit de cela. L'auteur observe son personnage sans antipathie ni sympathie et donne à imaginer un autre possible au roman de Jack London en peignant l'élévation de la jeune femme, au prix parfois de tentations contradictoires, qui s'arrache aux conformismes et aux singeries du monde. La langue est parfois clinique, anatomique, crue, comme on se figure une dissection.

«  Il se dégage, recule un peu et lui ordonne de se lever. Elle réalise en se redressant que ses genoux sont douloureux, que la position était inconfortable, elle se sent un peu ankylosée. Elle n'a guère le temps d'y penser. Quand elle est debout, il se rue sur elle et l'embrasse à pleine bouche. Elle sait qu'il aime goûter ce mélange de son haleine et du goût de sa queue. Il passe une main entre ses cuisses... »

C'est qu'une métamorphose procède forcément autant de l'ordre du corps que de l'âme.

C'est une lecture partisane.
Oui, bien sûr !
Parcellaire.
Évidemment !
Réductrice.
Hélas ! Toutefois, Alice ne choisit pas que London pour ses vacances. Elle fourre aussi dans son sac Anaïs Nin. Un autre lecteur féru de l'écrivaine donnera, mieux que moi, sa lecture de N'IMPORTE à la lumière de la littérature d'Anaïs Nin. Un autre encore, familier de Nietzsche, relèvera les influences du philosophe. Un autre encore dessillera les yeux attachés aux détails et montrera l'envergure.

Ce roman invite à plusieurs lectures. Mais j'ai déjà dit cela. Tu y vois quoi, toi, ami qui viens après moi, dans ce roman de Valérie Cormier ?




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