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sur 83 notes
Après Mauvaises Herbes paru en 2020, récit croisé d'un père et de sa fille, premier roman de Dima Abdallah, Bleu nuit confirme le talent de cette auteure.
Dès les premières pages, le narrateur délivre les deux seules dates qu'il tolère, le 25 octobre 1961, jour de sa naissance, marquée après tout, noir sur blanc sur ses papiers d'identité et le 21 mars 2013, date à laquelle va débuter pour lui une nouvelle vie.
Cet homme, ancien journaliste, est parvenu pendant des années à tenir en laisse ses souvenirs, en vivant cloîtré dans son appartement, n'échangeant que quelques mots avec les coursiers qui le livrent à domicile. Impossible pour lui de sortir car dès qu'il ouvrait la porte de son immeuble, ses jambes le lâchaient et ce n'est qu'au prix d'efforts intenses qu'il parvenait à rentrer.
Un appel téléphonique fait basculer alors sa vie. Alma, la seule femme qu'il a aimée est décédée.
Ce 21 mars, lendemain de l'enterrement, enterrement auquel il s'était préparé à assister mais auquel il a été incapable de se rendre, vers 6h 30 du matin, il prend son sac à dos, y déverse ses médicaments, quelques livres, son pull le plus chaud, deux ou trois vêtements, son bonnet en laine, avant de refermer l'armoire, tente de convoquer le souvenir de l'odeur d'Alma en portant à son nez ses vêtements, mais subsiste seulement une odeur de poussière et de renfermé, claque la porte de l'entrée et dévale l'escalier. Il cherche la première bouche d'égout de la rue et y jette les clefs de l'appartement.
Il a l'impression de se réveiller d'un long sommeil. Son domicile est désormais la rue.
Il change d'emplacement chaque soir et au bout de quelques mois arrive à connaître chaque rue, chaque boulevard, chaque impasse dans un grand périmètre autour du Père-Lachaise, évitant seulement celle où il habitait. « Je veux que toute ma vie d'avant brûle doucement et tombe en ruines ».
Il se crée une nouvelle routine, le mardi, rue des Passants, le mercredi, rue des Amandiers, le jeudi, c'est le Père-Lachaise, sans toutefois n'y avoir jamais cherché la tombe d'Alma, et passe tous les vendredis rue du repos. Dans chacune de ces rues, chaque semaine, il a un échange fugace avec des jeunes filles ou des femmes, toujours les mêmes, chez qui il sait déceler la tristesse et la détresse. Si Emma lui ramène à l'esprit des images refoulées de vergers en fleurs, puis en septembre de pommes englouties avec Hana, Ella, quand à elle, lorsqu'elle lui tend un croissant, ce sont alors mille odeurs qui envahissent la rue des Amandiers, le quartier entier qui embaume d'un parfum de galettes à l'anis et la grâce des mains généreuses de la tante Zeina qui apparaissent…
Il sera cependant vite submergé par cette infinité d'images, « avec les souvenirs d'elle (Alma), tous les autres, morts et enterrés, ressuscitaient … Tout le satané bleu remontait en moi... »
Bientôt, les fantômes qu'il avait essayé de fuir en venant s'installer de l'autre côté de la Méditerranée, ni les rituels, ni la drogue ni l'alcool ne pourront les contenir. Il va alors consacrer ses nuits tourmentées au récit de ce cauchemar éveillé dans lequel il se débat depuis tout jeune.
Au travers de ce fabuleux monologue, Dima Abdallah dresse le portrait bouleversant d'un homme en proie à ses fantômes, qui essaie de forcer sa mémoire à se vider de ses souvenirs, mais l'oubli est tellement difficile. À chaque instant, le noir côtoie la lumière.
Cette errance dans Paris est racontée de façon absolument poétique et nous fait rencontrer ces laissés-pour-compte que souvent, nous ne savons plus voir.
Une profonde humanité se dégage de ce récit raconté par un homme qui souffre, mais surtout, parvient à ressentir au plus juste la détresse de ses semblables.
J'ai aimé cette remontée des souvenirs, notamment au travers des odeurs, des sensations, si délicatement et poétiquement transmises, que ce soit le feuilletage du croissant, le parfum des galettes à l'anis, la grâce des mains généreuses de sa tante ou encore le parfum de Layla, « ce savant mélange de crème hydratante, d'iode et de jasmin » qui le ramène à sa mère. Ces réminiscences dégagent beauté et sensualité.
Il faudra cependant attendre les derniers chapitres pour comprendre totalement le passé de cet homme et je dois dire que pour moi, cette attente s'est révélée un peu longue.
Bleu nuit est un roman poignant, sensible, rude, sur l'oubli, la rue, un roman sombre, très sombre et pourtant radieux, empreint de poésie.

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Sortir. Sortir de cet appartement où il s'est enfermé depuis plusieurs années dans une routine mortifère. Faire fi de tout ce passé si lourd à porter. Et jeter la clé dans une bouche d'égout…
C'est ainsi qu'il se retrouve à la rue, libéré de ses tics et de ses tocs et prêt à adopter le rythme d'une ville qu'il regarde d'un oeil attentif.

La rue est un microcosme qui en dit long sur ceux qui l'arpentent , pour peu que l'on daigne leur jeter un regard. Ella, Emma, Carla, Martha, toutes ces figures « tout ce qui s'est interposé entre lui et la rue », des relations superficielles mais suffisantes pour comprendre les tourments de chacune.
Sans oublier Minuit, ce chien avec qui il a noué une relation de protection mutuelle.

Cette précarité volontaire l'a certes pour un temps sauvé de la folie, mais n'en reste pas moins une errance parfois lourde à assurer, sans compter les dangers que la consommation inéluctable de produits illicites l'expose à des agressions.

Par la voix du narrateur , Dima Abdallah nous propose une série de portraits de gens ordinaires, avec leurs failles plus ou moins tues, tandis que les souvenirs affluent pour nous révéler le chemin semé d'obstacles qui l'a conduit là où il est arrivé.

Roman profondément humain, révélant une empathie immense pour les anonymes ordinaires, et porté par une très belle écriture, simple et convaincante. On apprécie aussi les en-tête de chapitres, références littéraires qui donnent le ton à chaque nouvelle étape du parcours.

240 pages Sabine Wespieser, 6 janvier 2022

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Si le point de départ peut choquer – vivre au grand-air par choix –, les pages qui suivent effacent bientôt toute réticence du lecteur. Il plonge alors dans l'esprit du narrateur, dans son mal-être et sa mémoire verrouillée qui laisse passer des éclats d'une douceur passée, éclats qui brûlent autant que des bris de verre quand le héros les effleure d'un souvenir, menaçant son fragile équilibre. La poésie de Dima Abdallah est intacte, son amour pour sa terre natale toujours aussi vif et poignant (plus de détails : https://pamolico.wordpress.com/2022/01/14/bleu-nuit-dima-abdallah/)
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Une lecture dont on ne sort pas indemne. Bleu nuit est la couleur du ciel et de la mer du Liban, ce Liban qui hante le narrateur, celui de son enfance,  de sa mère,  de la guerre. le lecteur le comprend à la toute fin du livre et peut rassembler, un à un les fragments épars dans les differents chapitres pour prendre la mesure de toute sa vie de souffrance.
Le monologue de celui qui se dit un "homme foutu" nous le montre d'abord enfermé dans son appartement  parisien puis vivant à la rue, dans un périmètre autour du cimetière du Père Lachaise.
Mais ces quelques lignes  ne rendent pas compte de l'originalité de ce deuxième  roman de Dima Abdallah, de la  sensibilité de son écriture, de l'humanité des personnages qu'elle nous permet de rencontrer, des moments tout simples de bonheur d'une vie qu'elle nous fait vivre. Ce roman est aussi celui des rues de Paris aux noms évocateurs (rue du Repos, rue des Partants, rue du Retrait, etc) qui résonnent de manière particulière dans la vie du narrateur, celui des odeurs et des couleurs qui le et nous submergent,  des citations d'auteurs (Aragon, Céline, Gary, Duras, etc.) avec lesquels il dialogue.
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J'espère que je saurai ne serait-ce qu'un tout petit peu vous donner envie de lire ce livre tellement c'est une merveille ! Un immense coup de coeur pour moi qui ne connaissais pas l'autrice, ça me donne d'autant plus envie de lire d'autres roman d'elle vraiment.

J'ai eu l'occasion de lire ce livre en décembre et je n'ai pas eu le temps d'en parler avant mais j'y ai rapidement repensé et je ne risque pas de l'oublier de si tôt. Et il sort dans deux jours enfin ! Je suis tombée en amour devant ce texte incroyable en toutes circonstances.

Vous allez rencontrer ici un homme qui est phobique du dehors. Il ne sort jamais de chez lui, et ce depuis plusieurs années. Jusqu'au jour où il apprend le décès d'une des femmes les plus importantes de sa vie. Alors, il sort et jette ses clés dans le premier caniveau. Et ainsi, il donne sa vie à la rue. Il y passera le reste de ses jours, aux alentours du cimetière du Père Lachaise. Vous respirerez au rythme de ses rencontres, de ses souvenirs des plus doux aux plus douloureux, de ses errances, de ses combats intérieurs et des saisons qui passent, assassines.

Comment l'autrice a-t-elle réussi à raconter presque conter cet homme tourmenté vivant dans la rue avec autant de poésie ? de la première à la dernière ligne, cette situation tristissime est racontée avec tellement de force, d'émotions, et même de beauté. J'ai refermé le livre le noeud au coeur. Je ne peux que vous recommander Bleu Nuit mille fois. Merci Dima Abdallah pour cette oeuvre magnifique.
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COUP DE COEUR
« C'était le 21 mars 2013 ». Ainsi commence le second roman de Dima Abdallah. En ce jour de printemps, le narrateur apprend la mort d'Alma, la femme qu'il a tant aimée.
Jusqu'à cette annonce, il vivait cloîtré dans son appartement de l'est de Paris, incapable de s'extraire de ce cocon en apparence protecteur.
Après avoir jeté les clés de son logement, il se confronte à la rue. Pour oublier Alma... Pour se guérir des angoisses du confinement qu'il s'est imposé...
Il prend ses quartiers autour du Père-Lachaise et, changeant de rue chaque jour de la semaine, rencontre des femmes dont le prénom, réel ou inventé, se termine par un « a ».
Ces femmes, qu'elles soient caissière de supermarché au bord du précipice, lycéenne anorexique, vieille dame, SDF moribonde, sont les miroirs de ses souffrances et de son propre exil intérieur que les fantômes d'antan, contre lesquels il se bat, vont aggraver. Jusqu'à la colère, jusqu'à la folie qui vous font croire que vous êtes vivant.
Cette solitude, elle va s'exacerber tout au long du récit. Malgré les attentions que les passantes ont à son égard et, surtout, en dépit de la présence presque spectrale de Minuit, la chienne qui pleure sur la tombe de sa maîtresse.
Via un long monologue intérieur d'une intense beauté hallucinatoire qui rend hommage aux invisibles des rues, l'autrice a tissé une émouvante mélopée qui pose des questions existentielles pour les pauvres humains que nous sommes :
peut-on oublier celui ou celle qu'on a été, peut-on faire table rase du passé, l'enfance ne vous rattrape-t-elle pas toujours ?
Avec « Bleu nuit », un bijou de poésie, Dima Abdallah, née au Liban, prouve une nouvelle fois qu'elle est une voix singulière et attachante de la littérature d'expression française.
Sélectionné par les libraires de l'Armitière dans le cadre du prix des lecteurs 2022, ce roman est l'un des plus beaux que j'ai lus ces derniers temps. Merci à eux pour cette belle découverte.

EXTRAITS
J'ai plus de souvenirs que si j'avais mille ans, mais j'enterre chacun d'eux, l'un après l'autre, dans les cimetières des rues de l'oubli.
On renonce à beaucoup de choses avant de renoncer au pain frais.
Entre ce qui est utile et ce qui est beau, elle a choisi ce qui est beau.

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Merveilleux livre, très original, que celui de cette romancière qui a quitté le Liban en guerre à 12 ans, et qui choisit un narrateur masculin bien étrange. Phobique de la rue («plusieurs années sans avoir mis les pieds dehors», p. 14), il se fait livrer à domicile, ne va pas à l'enterrement d'Alma, la femme qu'il aime et qui – pensait-t-il, allait le sauver (p. 189). «Elle a tenu dix ans à mes côtés. Dix ! Elle a été héroïque» (p.191). On n'en saura pas plus. Il ne répond plus au téléphone, et finit par quitter son appartement et par jeter ses clés dans un égout, hantant désormais les rues de Paris comme SDF: rue du repos, rue du retrait, et même rue de l'avenir, une impasse qui ne mène nulle part. Phobique, il se dit aussi hypochondriaque, psychopathe (p. 191) et obsessionnel compulsif («J'accomplissais toutes sortes de rituels pour contrer l'angoisse. Je faisais cinq fois le tour de l'appartement en récitant mes incantations, je vérifiais des dizaines de fois que les bouches d'arrivée de gaz étaient bien fermées, je me lavais les maisons trois fois de suite»... p. 12; «formules magiques pour m'endormir», p. 16). Anorexique aussi, il pèse ses aliments au gramme près, successivement sur trois balances (p. 193). Il dort dans les parcs, cite Proust et ses madeleines, Baudelaire, Sartre, Aragon et d'autres. Il suit des inconnues dans la rue sans jamais leur parler. Tous les mardis à la même heure, il va à la rue des Partants et rencontre Emma qui lui offre un croissant. le mercredi, c'est le jour d'Ella. Les jeudis, il passe la journée au cimetière du Père Lachaise où il rencontre un chien qu'il appelle Minuit et qui ne quitte pas la tombe d'un enfant. Peu à peu, une amitié tendre se noue avec l'animal qui ira se blottir la nuit contre le corps du narrateur, dans un parc, avant de retourner à la tombe le matin. Ce sera le seul lien affectif du narrateur, admirablement décrit. Les nuits seront désormais pour le chien. le vendredi, c'est le jour de Martha qui lui offre invariablement un paquet des mêmes biscuits périmés, de son supermarché. Puis vient le jour d'Aimée qui dort sur une bouche d'aération du métro, et dont la carcasse puante s'étale sur le trottoir. le samedi soir, c'est le jour du bain de foule («je m'impose ce rituel pour ne pas perdre l'habitude des rues bondées er des décibels...». Ce jour-là, c'est Carla qui lui donne ce qu'il y a de «plus facile à manger pour un mec qui vit dehors» et qui, pour elle-même, transporte des bacs de bière en titubant. Les lundis, c'est Leila qui doit avoir à son actif plusieurs dizaines d'hivers dehors. Les jours se suivent mais aussi les saisons. le narrateur ne parle à aucune de ces femmes, mais chacune est une rencontre de loin qu'il évoque avec tact, finesse et poésie. Comme pour la femme aimée, tous les prénoms finissent par la lettre A. Il écrit «je regrette Minuit, Leyla et les autres. Je regrette le croissant d'Ella, le manteau d'Emma, les invendus de Carla et les sablés bretons de Martha... Je revois les cicatrices d'Ella, les jambes squelettiques d'Emma, les mains qui tremblent de Carla et le dos voûté de Martha. Je plonge dans les yeux tendres de Minuit». Peu avant la fin du livre, revient un souvenir douloureux et personnel du Liban, un épisode tragique qui l'a marqué quand, gosse, il a été entrainé dans la guerre et dans une violence qu'il dénonce avec pudeur. C'est avec la même pudeur qu'il évoque sa mère disparue. le dénouement, qu'il partage avec le chien, est une surprise pour le lecteur, bien que dans l'esprit de ce qui précède. le livre a une forme particulière de sensualité, parlant beaucoup des odeurs et des couleurs. le gris alterne avec le bleu nuit, couleur d'une robe de la femme qu'il a aimée, et couleur qui revient notamment comme couleur du ciel («Toutes les déclinaisons de gris de février triompheront pour toujours du bleu nuit» (p. 179). le mot «corps» revient sans cesse, jusqu'à 5 fois par page (p. 92). Beaucoup de choses s'expliquent dans une paraphrase de Marguerite Duras (L'Amant): «J'avais seize ans et il était déjà trop tard» (p. 156) ou dans une citation de Camus, «Même dans la destruction, il y a un ordre, il y a des limites».
Autres citations : «J'ai décidé que lire seul, à voix haute, était moins pathétique que de parler à mon steak pendant qu'il cuisait» (p. 17). «Ma sève ne montera plus jamais au printemps et n'ordonnera plus à mes branches de faire naitre de nouveaux bourgeons. Je ne connaitrai plus d'autre saison, ce sera un éternel automne désormais. Ce sera l'ultime et la plus grande tempête de ma vie et je l'attends ici, debout, les branches levées au ciel... Autrefois vivait en moi une hirondelle. Une hirondelle qui avait renoncé à son printemps» (pp. 168-169). «Elle a dû reconstruire tant de fois tant de nids. Il y a si longtemps que mon hirondelle est partie» (p. 170). «Des habitants du quartier, il ne reste que le tintement des pièces qui tombent dans le gobelet. Quand j'ai assez pour la bouteille, j'enlève le gobelet pour ne plus rien entendre d'eux. Pour ne plus rien savoir des corps qui passent» (p. 178).
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Quasiment sans déroulé événementiel, Bleu Nuit est avant tout une déambulation dans les méandres de l'esprit perturbé d'un homme qui livre ses angoisses au lecteur.

Dès le début du roman, Dima Abdallah nous plonge dans le cerveau du personnage central, un être se débattant avec ses fantômes, au point qu'il épuise sa force vitale au service d'un but unique : effacer complètement de sa mémoire tout souvenir pouvant lui rappeler quelque secret apparemment insupportable. le problème est que l'oubli ne se décrète pas et qu'à force de mettre toute son énergie à tenter d'enfouir les expériences traumatisantes, la personnalité finit par disjoncter.
Subterfuges désespérés pour se vider la tête de toute pensée dérangeante, TOC, rituels, prise de came ou d'alcool rythment le quotidien du héros que l'on voit s'enfoncer dans son mal-être au fil des pages.


Au début du roman, cet homme , dont on ignore à peu près tout, vient d'apprendre la mort de la seule femme qu'il ait jamais aimé. Cette nouvelle agit sur lui comme un détonateur et lui impulse la force de franchir la porte de son appartement dans lequel il vit cloîtré depuis des années, en proie aux démons qui le hantent. C'est décidé, il vivra désormais dans la rue où il espère trouver la délivrance... Sauf que les obstacles que l'on porte en soi sont encore bien plus difficiles à franchir que les murs d'un appartement.

De rue en rue, le roman va nous faire partager les pensées du héros que l'on verra "s'enfermer dehors", reproduisant ses rituels, arpentant toujours les mêmes trottoirs et programmant même ses rencontres avec d'autres invisibles, SDF ou petites gens du quartier, selon les jours de la semaine. On le verra aussi rétrécir progressivement le champ de ses pérégrinations autour du Père Lachaise. Notons au passage le symbole que revêt le choix d'un cimetière comme point central de ses errances, une manière de mettre en évidence combien la mort plane dans ce roman.


Il faudra être très patient avant que l'intrigue ne soit dévoilée à la toute fin du roman (des révélations d'ailleurs bien plus complexes que le seul deuil de la femme aimée évoqué au 1er chapitre pouvait le laisser supposer). le lecteur aura donc, avant cela, eut l'impression de beaucoup tourner en rond dans la tête d'un personnage somme toute assez statique.
De ce fait, j'avoue que le roman m'a semblé long. Cela a certainement impacté négativement mon implication dans l'histoire et l'empathie que j'ai pu éprouver pour ce héros perdu.
Parallèlement, il serait injuste de ma part de ne pas souligner la finesse du travail de l'autrice sur la psychologie de son personnage et l'élégance de son écriture, recherchée, percutante et poétique.


En conclusion, si l'on considère Bleu Nuit sur un plan purement littéraire et esthétique, c'est incontestablement une oeuvre digne d'admiration.
Le reste - l'appréciation émotionnelle- est sans doute affaire de sensibilité personnelle.
A vous d'en juger. Peut-être serez-vous plus touché que je ne l'ai été moi-même par ce roman non dénué de qualités.
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S'il y a un fait que vous ne pouvez pas renier c'est celui d'avoir vécu.

On aimerait en savoir un peu plus sur le parcours de l'auteure née au Liban en 1977, vivant à Paris depuis 1989 et qui signe cet étrange et poétique roman.

Le narrateur est un homme dans la cinquantaine. Alma, la femme de sa vie, vient de mourir. Il ne peut supporter l'idée même d'aller à son enterrement. Revirement total de celui qui avait "vécu plusieurs années sans mettre les pieds dehors". La rupture est radicale : il nettoie comme un maniaque obsédé de propreté son appartement, affronte la robe bleu nuit de la disparue, sort et jette ses clés dans une bouche d'égout. Il vivra désormais dans la rue, en évitant soigneusement de repasser par celle où il a vécu. On pense au parcours d'un de ces évaporés japonais (johatsu).

On peut tout quitter, sauf son passé : inexorablement il revient hanter les jours et les nuits du vagabond. le SDF organise sa vie dans la rue à partir de l'observation de différentes femmes, ayant chacune ses habitudes, chacune recluse dans sa solitude. Il leur invente une vie qu'elles ont peut-être et ne manquerait pour rien le rendez-vous qu'il a le lundi avec Leila, le mardi avec Emma, le mercredi avec Ella et le jeudi avec... le cimetière du Père Lachaise. Il y a d'autres femmes que le narrateur observe ; toutes sont apparemment seules, leurs prénoms riment tous avec celui d'Alma.

Notre homme est attachant, cultivé, non-violent. Très sensible aux bruits et aux odeurs, il poursuit tout au long du roman un monologue intérieur poétique dont on se demande comment l'auteur a pu imaginer les arcanes. Une vague évocation de la jeunesse qu'il a vécue au Liban laisse transparaître, comme en filigrane, des souvenirs propres de l'auteure. L'impression que laisse ce portrait devrait marquer durablement les lecteurs qui regarderont peut-être après cette lecture les gens de la rue sous un angle différent ("On ne connaît pas l'hiver avant d'en avoir passé un dehors").

Il ne s'agit pas du tout de misérabilisme, mais de respect pour celui qui, désarçonné par un coup du destin, soigne sa détresse en y consentant et aurait pu s'en repaître jusqu'à la folie s'il n'avait observé, puis rencontré, d'autres solitudes que la sienne. le narrateur prend des risques en survolant le paysage de son passé : "Je suis le funambule sur le fil tendu au-dessus des abysses de la mémoire. Il ne faut pas que je tombe." Merci à Dina Abdallah pour le vertige qu'elle nous procure dans cet étrange roman.

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Quel beau et puissant livre que "Bleu nuit", deuxième roman de l'auteure française d'origine libanaise Dima Abdallah. Au coeur de ce récit, un homme au bord du gouffre qui livre au lecteur un monologue poignant. A travers ses mots, il est question de mémoire (traumatique), d'oubli, de pardon.



Qui est cet homme ? Il a une cinquante d'années, vit reclus dans son appartement parisien, souffre de tocs et de manies. Un jour, au lendemain d'un enterrement important auquel il n'a pas pu assister, il décide de braver ses peurs les plus profondes et de sacrifier son confort matériel pour vivre volontairement dans la rue. Il devient SDF par choix. Cette nouvelle vie est éprouvante car il connaît le froid, la faim, le manque de tout. Pourtant, il s'en accommode assez facilement car il semble vouloir se punir de quelque chose. La radicalité de son choix interroge. Pourquoi s'infliger un tel sort ? Pourquoi rajouter de la souffrance à la souffrance ?



Etonnamment, vivre dans la rue est aussi la source de petits bonheurs inattendus. Un chien, nommé Minuit, apporte la chaleur et l'affection dont le narrateur a tant besoin. Les autres moments de joie et de réconfort sont liés à des rencontres. Dans le 20ème arrondissement qu'il connaît si bien (au cimetière du Père Lachaise, autour de la place Gambetta, dans de nombreuses petites rues qu'il arpente jour après jour), son regard est à l'affût et croise celui de plusieurs femmes : Emma, Martha, Carla, Layla... Ces femmes vivent, elles aussi, existence une cabossée par les épreuves. La proximité est immédiate bien que très peu de mots ne soient, la plupart du temps, prononcés. Un sourire, un geste de remerciement valent plus qu'un grand discours. Layla, elle-même SDF, occupe une place singulière dans cette passionnante galerie de personnages. Avec elle, ce sont les odeurs (de jasmin, de crème hydratante qu'elle applique sur ses mains) qui sont essentielles. Pour le personnage principal, elles convoquent un passé très douloureux, des souffrances enfouies...



Le bleu, qui donne son titre au roman, est présent de bout en bout : le bleu éclatant d'une étoffe, le bleu profond de la mer, le bleu nuit du mystère. le mystère plane en effet sur ce récit et l'émotion est au rendez-vous car Dima Abdallah construit son roman de façon formidablement subtile. le livre est, par ailleurs, parsemé de références littéraires passionnantes : Kundera, Proust, Baudelaire, Céline, Duras et bien d'autres sont cités. Tous ces auteurs ont exploré à leur manière le sujet qui est au coeur de "Bleu nuit" : les souvenirs du passé qui encombrent le présent.

Lien : https://inthemoodfor.home.blog
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