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Citations sur Mort anonyme (13)

Je ne la quittai pas des yeux. Je voulais la forcer à me regarder à travers ses cheveux qui lui tombaient sur le visage. Je réglai soigneusement ma respiration avec le mouvement du tendon, situé au creux de son genou, qui se balançait coquettement d'avant en arrière sous sa jupe trop courte. En même temps, je tendais l'oreille en direction du mur, le souffle coupé par l'attente, persuadé que l'homme derrière, en proie à une folle jalousie, lancerait une casserole d'eau bouillante. En vain : pas de bruit de vaisselle cassée, ni même un seul claquement de langue. De la petite fenêtre, les mêmes mains blanches allaient et venaient discrètement. Les tasses sur le plateau ne frémissaient même pas. C'était plutôt moi qui tremblais. Pour me calmer, j'avais posé mes pouces sur le bord de la table ; mes poignets, agités d'un tremblement incessant, évoquaient ceux d'un batteur atténuant le bruit de façon qu'une note chargée d'émotion persiste. Devais-je croire à tout cela ? La force explosive est proportionnelle à la force de compression. Alors, dans ce cas, allais-je faire tout mon possible pour séduire la femme ? Une fois sorti de ce lieu, mon monde s'arrêterait de toute façon avant le tournant. Pour le moment, le seul endroit où je pouvais m'asseoir et me détendre était celui-ci. Le lien entre ce café et moi prit plus d'importance que celui entre une simple tasse de café et un habitué. Le sens caché de l'épreuve qui m'était imposée m'apparut primordial : je devais la séduire. Maintenant, c'était à elle de comprendre mon regard insistant et de se réveiller pour jouer son rôle. Je lissai mes cheveux hirsutes au-dessus de mes oreilles en me regardant dans la fenêtre, levai le menton et arrangeai le noeud de ma cravate. Je ne l'avais pas payée très cher mais les motifs étaient du dernier cri. De toute évidence, je ne prétendais pas posséder les qualités d'un don juan, cependant j'avais tous les atouts. Voilà une femme qui ne connaissait rien d'autre que l'amour, et j'allais l'enlever à un homme qui ne connaissait rien d'autre que la jalousie ; c'était aussi simple qu'une formule chimique. Tant que j'étais le séducteur, cela me convenait. Bientôt, elle allait avoir la réaction qu'il fallait. Je la paierais au moment voulu, lui demanderais de fermer plus tôt et de m'héberger pour la nuit. Elle réagirait de plus en plus rapidement pour qu'en fin de compte l'effet désiré soit atteint. L'homme éclaterait, fracasserait le mur, prouvant de cette façon l'infaillibilité de la formule chimique. Et, libéré de mon rôle, non sans difficulté, je retrouverais en échange le monde de l'au-delà du tournant.

Extrait de "Au-delà du tournant"
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Dans un coin de la pièce se trouvait un appareil qui ressemblait à un petit standard téléphonique. Le directeur, raide comme un balai, le contemplait d'un air triomphant, tel un capitaine face à son gouvernail.
"Savez-vous quels sont les vrais politiciens, ceux qui font bouger notre époque ? Non...? La plupart des gens pensent qu'il s'agit des députés et des ministres. Quelle bêtise ! Ceux qui sont à la barre sont les publicitaires comme nous. Nous sommes les seuls à pouvoir concilier deux éléments aussi indomptables que l'opinion publique et le capitalisme.
- C'est vrai, ajouta le directeur.
- Je vais vous dire comment nous nous y prenons. D'abord, nous plantons une minuscule graine de désir dans le ventre de l'opinion publique, si petite qu'on la voit à peine. C'est un produit secret, l'essence de notre savoir ; une fois implantée, elle s'accroche pour toujours. Sa croissance est extraordinaire, réclamant de l'engrais à grands cris. Quand arrive le moment propice, nous faisons savoir que nous en possédons un de première qualité et les gens se précipitent pour vider leurs porte-monnaie.
- Ce qui fait le bonheur des compagnies "d'engrais" !
- Exactement."

Extrait de "Le Pari"
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A ce moment, il se sentit comme aspiré et s'interrogea sur la cause de ce vide qui l'envahissait. Brusquement il eut l'impression qu'une sorte de plante prenait vie en lui, puis le sentiment horrible de s'écraser par terre : c'était agréablement déplaisant. Le sol gronda et vacilla...
Quelle sensation étrange. Comon prit soudainement conscience de la force de gravité. Il semblait fixé au trottoir comme si on l'y avait collé. Non, en fait il y était collé. Il baissa la tête, l'épouvante s'empara de lui : ses pieds s'enfonçaient sous terre. Il était devenu une plante ; ni arbre ni herbe, mais un végétal élancé et ondoyant, couleur vert-brun.
Puis tout s'assombrit alentour. Dans la pénombre, il aperçut son propre visage, comme reflété dans la fenêtre d'un train de nuit. De toute évidence, une hallucination. L'intérieur de sa tête s'était retourné comme un gant, il l'arracha et la remit dans sa position initiale. En un instant, tout redevint normal.

Extrait de "Dendrocacalia"
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Fronçant les sourcils, il essaya désespérément de se concentrer. Oui, il devait se souvenir de quelque chose que tout pauvre connaît, à condition que sa mémoire ne soit figée, immobilisée par le froid. D'où était tombée cette neige ?
Regarde ces cristaux, se dit-il, si extraordinairement gros, si complexes et si beaux. Que sont-ils sinon les mots oubliés des gens pauvres ? Les mots de leurs rêves...leurs âmes...leurs désirs. En forme d'hexagone, d'octogone, de dodécagone, de fleurs plus ravissantes que les fleurs, la structure même de la matière...c'était la configuration moléculaire des âmes des pauvres.
Les mots des pauvres ne sont pas seulement longs, compliqués et beaux, ils peuvent être aussi laconiques que les minéraux et rationnels que la géométrie. C'est pourquoi seules les âmes des pauvres peuvent devenir des cristaux.
Le jeune homme à la veste rouge écouta les mots-neige et décida de les écrire au dos des tracts qui se trouvaient sous son bras.
Il prit une poignée de neige et la lança en l'air. Elle vola dans un tintement mais lorsqu'elle retomba sur le sol, le bruit se changea en un mot, "veste, veste". Le jeune homme éclata de rire. Son allégresse s'échappa de ses lèvres à peine entrouvertes sous forme de mélodie à la fois joyeuse et sereine, puis disparut dans le ciel lointain. Semblable à l'écho, la neige alentour commença à murmurer : "veste, veste".

Extrait de "La vie d'un poète"
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Tous, écrasés par la misère, ressemblaient à des cornichons au fond du bocal de la vie, les sacs de peau entourant leur chair avaient été vidés de leurs rêves, de leur âme et de leurs désirs. Et maintenant, ceux-ci flottaient dans l'air comme un gaz invisible. Ils incarnaient ceux qui avaient besoin de vestes. Oui, c'était cela : cette même pauvreté qui empêchait le peuple d'acheter des vêtements lui avait aussi dérobé toute envie d'être protégé par un habit.

Extrait de "La vie d'un poète"
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L'eau semblait avoir la densité du mercure, mon corps n'était plus qu'un gosier. Je me concentrais entièrement sur cet organe et brusquement devant mes yeux hagards surgit la gueule d'un pistolet. D'abord, je crus à une hallucination : l'ouverture d'un robinet. Avant de pouvoir réaliser ce qui m'arrivait, j'eus l'impression d'avoir le nez arraché vers l'arrière de la tête, un projectile dur me transperça le corps. Puis je mourus.
L'instant d'après, mon âme quittait son enveloppe charnelle. Légèrement en retrait, je regardai mon corps : en une demi-journée, il était devenu desséché et parcheminé, semblable à une statue en bois. Etait-ce pour cette raison qu'une ou deux gouttes de sang seulement perlaient de la blessure ? On aurait dit qu'un troisième oeil avait poussé sous les deux autres.
Rempli d'amour pour mon corps, je me sentis un peu triste. Le sous-lieutenant, qui m'avait tué, me fit rouler du pied pour dégager le chemin. De l'intérieur du camion, la voix d'un autre officier s'éleva :
"N'y touchez pas, vous allez attraper le choléra !"
Mon assassin recula précipitamment et revint vers le véhicule. Je fis de même, grimpai à l'intérieur et pris une place libre. Il va sans dire que personne ne me remarqua.
Le camion roula sur mon corps et l'écrasa, m'arrachant le bras gauche. Ma jambe gauche. Ma jambe gauche, tordue, dressée en l'air, tel un poteau indicateur, délimitait la frontière entre le passé et le futur. Le passé s'éloigna peu à peu, diminuant au fur et à mesure, jusqu'à disparaître, absorbé par une aspérité du sol. Toutefois, il subsistait toujours en moi. En regardant le sable qui jaillissait continuellement sous les roues, je compris que la vision de cette jambe dressée me suivrait partout où j'irais. L'envie incontrôlée de descendre pour l'étreindre m'envahit douloureusement.

Extrait de "La transformation"
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J'avais l'impression que mon cœur, semblable à un arbre mort rongé par les insectes, se détachait en lambeaux et tombait à mes pieds. Brusquement je pris conscience du regard apitoyé de la jeune fille et détournai précipitamment les yeux. Une larme isolée roula sur mon nez.

Extrait de "Les envahisseurs"
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[...] Quelqu'un n'avait-il pas dit que plus un homme est civilisé, plus il rit, et plus il est primitif, plus il pleure ...
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[...] J'attrapai le choléra le 14 août et mon unité me laissa dans une grange. À la nuit tombante, un autre bataillon, en provenance du Nord et naturellement en déroute, vint à passer. Je rampai hors de mon abri et agitai la main, mais personne ne s'arrêta.
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Extrait : Au-delà du tournant.
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Puis je m’arrêtai lentement, comme suspendu en l’air par un ressort. Mon poids, qui s’était transféré du bout du pied gauche au talon du pied droit, se déplaça à nouveau pour se concentrer dans le genou gauche. Le garçon avait disparu, le groupe de femmes aussi. J’étais seul. Le paysage se figea dans le silence, parce que j’avais fait une halte ; [...]

Toutefois, je m’étais immobilisé d’une façon inattendue, avec la sensation d’être suspendu en l’air par un ressort, comme mû par une hésitation inconsciente provoquée par la vision à la fois étrange et frappante de ce chemin escarpé, auquel je ne prêtais aucune attention habituellement. De toute évidence, je connaissais la raison pour laquelle je m’étais arrêté mais je ne voulais pas l’admettre : impossible de me rappeler ce qui se trouvait au-delà du tournant, pourtant aussi familier que ce paysage devant mes yeux.
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