J'étais encore en cavale. je me planquais. Depuis tant d'années j'étais en fuite. Je m'étais mis entre parenthèses. Et j'y avais mis ma vie avec. (p.258)
Banalement réactionnaire et ordinairement raciste
Le lendemain, les jours, les semaines, les mois qui suivirent s’écoulèrent avec la consistance d’un mauvais rêve, prenant parfois la texture d’un réel insupportablement épais, comme saturé de lui-même, et parfois celle, cotonneuse et voilée, d’un songe un peu trouble.
Nous ne parlions de nos parents que pour nous plaindre des punitions et restrictions qu'ils nous infligeaient, des injustices dont nous pensions être victimes, de leur incapacité à nous comprendre, à dialoguer même , de l'ennui qu'ils nous inspiraient, de leurs goûts et de leurs idées de vieux. Comme tous les adolescents du monde.
Combien de personnes successives, contradictoires, opposées, inconciliables abritons-nous en nous-mêmes ?
Je ne vivais rien au premier degré. Je vivais tel que je croyais être censé le faire.
Je comprenais comment on pouvait rompre malgré le socle commun du passé. Comment même un lien filial pouvait s'user, pourrir, jusqu'à ne plus revêtir la moindre signification. Et s'effacer. Purement et simplement.
Avec elle, j'étais toujours à contretemps, en retard d'un train, d'un silence, d'un mot, d'un mystère, d'une humeur.
Déjà qu'il n'encaissait pas de devoir fermer le dimanche, au motif que la librairie ne figurait pas au rang des commerces de première nécessité.
J'ai hésité à le rejoindre. Je ne voyais pas comment m'y prendre. Quels mots prononcer. Quels gestes effectuer. Nous évoluions dans les glaces depuis si longtemps qu'elles semblaient impossibles à fendre.