On accepte parfois plus facilement le ciel qui nous tombe sur la tête que celui qui s'ouvre et dévoile un soleil splendide.
Un enfant quand il te parle, quand il te pose une question, te donne l'impression qu'il s'en remet à toi.
Les parties du corps, c'est comme les plantes, a affirmé l'esthéticienne. Il faut les regarder, les toucher, leur parler pour qu'elles s'épanouissent et évoluent bien.
La maison neuve, c'est le cinéma et la maison ancienne, le roman. Seule l'une des deux a le pouvoir de développer l'imagination.
D’ailleurs tout le monde le dit : elle est la fille de son père. Il était vaguement roux avant que ses cheveux blanchissent, « le gène roux c’est lui » a toujours assené sa mère comme si elle s’en défendait, comme si la rousseur était une tare qu’elle ne voulait pas se voir associer, Clémentine est rousse. Et elle a le visage rond, comme lui, comme feu sa grand-mère, la rondeur, les bonnes joues, les petits plis qui se forment sous les yeux quand on sourit, tandis que ses sœurs ont les traits anguleux de leur mère.
Accès aux Origines Personnelles.
Le cœur de Clémentine fait un bond. Quel tour son inconscient a-t-il décidé de lui jouer ? Les livres ou les films qu’elle aime contiennent souvent des secrets de famille, un patriarche qui annonce en coupant le fraisier qu’il est le père mais pas le géniteur des deux derniers, la mère qui avoue un écart pendant une absence maritale un peu trop longue – mais c’est du cinéma, de la littérature. Que doit-elle rechercher concernant ses « origines personnelles » ? L’inconscient peut-il fabuler ? Se laisser influencer par les lectures ou les films, justement ?
De retour à l’appartement, elle se poste devant le grand meuble télé-bibliothèque qui occupe le mur du salon. Les albums photos sont là, peu nombreux, datant de l’ère d’avant les appareils numériques et les clichés accumulés dans l’ordinateur, tirés sur papier pour les grandes occasions seulement. Parmi eux le sien, son précieux, celui de sa naissance. Sa mère le leur a donné à chacune il y a plusieurs années, Clémentine avait presque trente ans. Ravie de l’avoir près d’elle, décontenancée que sa mère s’en défasse.
Elle devait trouver une psychologue pour l’aider. Une psychologue ou quelqu’un d’autre, par exemple une hypnothérapeute. Qui aille chercher dans son inconscient, car si Clémentine sait une chose, c’est que c’est là que les racines de ses peurs se sont implantées.
Et qui fasse ça vite. Puisque le temps est compté.
D’ici quatre mois, elle accouche.
Les hommes qui ne connaissent rien de la grossesse ont cette excuse, ceux qui vivent avec une femme enceinte n’en ont pas. N’en ont plus. Sami lui-même pensait qu’un ventre qui s’arrondit c’était du volume, uniquement du volume, depuis que Clémentine a porté Agathe il sait que c’est aussi du poids et de l’inconfort alors il cède son siège dès que l’occasion se présente.
Diane salue la bibliothécaire, elle aussi se sent en terrain connu même si elle n’emprunte pas systématiquement de roman, faute de temps pour lire ce qui s’accumule déjà sur sa table de nuit. C’est la jeune aujourd’hui, Diane l’aime bien, elle la trouve touchante avec cet air de vivre sa première semaine de travail qu’elle lui a toujours connu. Son discours est précis, ses connaissances du classement et du fond irréprochables mais face aux regards inquisiteurs qui se posent sur elle elle semble ne jamais trop savoir comment réagir.
Cette fois quelque chose en elle s’effondre. Elle saisit son téléphone posé sur le bord du lavabo, tape « peut-on avoir ses règles quand on est enceinte », découvre que la moitié des grossesses avec saignements au premier trimestre évoluent normalement et que près d’une femme sur dix connaît ce qu’on nomme des « règles anniversaire », qui surviennent à la date habituelle tout en étant moins abondantes ou au contraire nettement plus. Elle découvre encore que la panique qui lui serre la poitrine est normale - le lire n’aidant cependant pas à la chasser.