Citations sur Requiem : Poème sans héros et autres poèmes (113)
Demande aux femmes de mon temps,
Bagnardes, " cent-cinq ", prisonnières,
Et nous te raconterons tout :
Que la peur nous abrutissait,
Que nous élevions des enfants,
Pour la prison, la torture et la mort.
Pinçant nos lèvres bleuies,
Hécubes devenues folles,
Cassandres de Tchoukhloma
Portant des couronnes de honte,
Nous serons un chœur de silence :
" Au-delà de l'enfer, il y a nous. "
POÈME SANS HÉROS, deuxième partie (strophes 24 & 25).
DEUX CHANSONS - LA SECONDE
Cette merveille de notre rencontre,
Etait lumière et chanson.
Je ne voulais plus
Aller nulle part.
C'était une amère douceur
Qu'un bonheur au lieu d'un devoir,
Je devais ne pas lui parler,
Et j'ai parlé longtemps.
Que les passions étouffent les amants,
Qu'elles exigent des réponses !
Nous n'étions plus, mon ami, que des âmes
Sur le bord du monde.
1956
LA PORTE EST ENTROUVERTE
La porte est entrouverte.
Les tilleuls frémissent…
Oubliés sur la table :
Une cravache, un gant.
La lampe fait un cercle de clarté.
Il y a des bruits que j’entends.
Pourquoi es-tu parti?
Je ne comprends pas.
Demain matin la lumière
Sera pleine de joie.
Cette vie est brève.
Sois sage, mon coeur.
Tu es à bout de force,
Tu bats plus sourdement.
Tu sais, je l’ai lu quelque part:
Les âmes sont immortelles.
Non, ce n’est pas moi. C’est quelqu’un d’autre qui souffre. Moi, je n’aurais pas pu souffrir autant.
Demain l'aube m'éveillera,
Personne ne sera mon juge,
Et le ciel bleu, à ma fenêtre,
Se moquera de moi ouvertement.
POÈME SANS HÉROS, première partie.
Nous ne boirons pas dans le même verre
Ni l’eau ni le vin doux,
Nous ne nous embrasserons pas à l’aube,
Et le soir nous ne regarderons pas à la fenêtre.
Tu respires par le soleil, moi par la lune,
Mais nous vivons par le même amour.
Avec moi j’ai toujours mon fidèle et tendre ami,
Et toi ta joyeuse compagne,
Mais je comprends l’effroi de tes yeux gris,
Car c’est toi l’auteur de mon mal.
Que nos brèves rencontres restent rares.
Notre paix nous est ainsi gardée.
Dans mes vers, seule ta voix chante,
Dans tes vers souffle mon haleine.
Oh, c’est un feu de bois que n’ose
Toucher ni l’oubli ni la peur…
Et si tu savais comme j’aime en cet instant
Tes lèvres sèches couleur de rose !
Les lèvres pâles entrouvertes,
Le souffle difficile est saccadé
Et sur ma poitrine frémissent
Les fleurs d’un rendez-vous imaginaire.
TOUT AU BORD DE LA MER
1.
Les baies découpaient la côte basse,
Toutes les voiles s'enfuyaient vers la mer;
Moi, je faisais sécher ma tresse,
Chargée de sel, sur une pierre plate
À plus d'une verste de la terre.
Un poisson vert s'approchait de moi,
Une mouette blanche me rendait visite,
Et j'étais hardie, méchante et gaie.
Et je ne savais pas que c'est là le bonheur.
J'enfouissais ma robe jaune dans le sable
Pour que ne puissent l'emporter
Ni le souffle du vent, ni un vagabond.
Et je nageais jusqu'à la haute mer,
J'y restais, bercée par les sombres vagues chaudes.
Quand je revenais, un phare, à l'est,
Faisait déjà briller sa lumière changeante.
Un moine me disait, aux portes de Chersonèse :
"Pourquoi vas-tu vagabonder la nuit ?"
[...]
... et je me suis retirée ici de tout,
De toute espèce de bien terrestre,
C'est une souche dans la forêt
Qui est l'esprit, le protecteur de "ces lieux".
Dans cette vie nous sommes tous en visite ;
Vivre, c'est tout juste une habitude...
Pardonne-moi d’avoir vécu dans la tristesse,
Et de m’être si peu réjouie du soleil.
Pardonne-moi, pardonne-moi
D’avoir pris tant d’autres pour toi.