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Critique de MarcelP


"Mais quelqu'un est venu qui m'a enlevé à tous ces plaisirs d'enfant paisible."

A la recherche du sentier perdu.

Mystérieux aérolithe, Augustin Meaulnes est entré par effraction dans la vie rabougrie du narrateur, François Seurel (que l'onomastique semble davantage reclure et isoler). Ce garçon gauche et timide jouit alors, par procuration, des aventures de son nouvel ami et héros : invitation à de fantomatiques noces, éblouissement amoureux pour la diaphane Yvonne de Galais, attachement passionné pour Frantz, le jeune frère de son idole, recherche obstinée de la fugitive Valentine...

François se souvient. Et ces remembrances d'un temps révolu, celui d'adolescences fantasmées, déplorent la perte des illusions et la navrure d'un trivial présent. Un temps d'avant les regrets et les pleurs.

Dans ce roman chagrin, Alain-Fournier coiffe sa lampe d'une lanterne magique qui substitue au gris-mauve morbide d'une insondable Sologne "d'impalpables irisations, de surnaturelles apparitions multicolores" où les légendes intimes sont détaillées "comme dans un vitrail vacillant et momentané"*. Car tout est vapeur et brume dans ce colloque sentimental entre hier et aujourd'hui : les silhouettes tremblées des personnages se dissipent de page en page, leurs amours fanées se mordorent de reflets équivoques et une odeur de fleurs pourries corrompt ces souvenirs de jeunesses désormais éteintes. Vieillir c'est déjà mourir.

Comme dans une tapisserie de haute lisse où l'endroit velouté dissimule un envers délavé, l'histoire du Grand Meaulnes exsude de méphitiques poisons. le conte champêtre à la George Sand se veine de cruautés, la gentille pantomime grimace sous les masques et la mort s'y fait omniprésente. le bohémien Ganache -Pierrot horrifique- et son sourire édenté, le front étoilé de Frantz, les érubescences d'Yvonne ou les scènes de sommeil itératives émaillent le récit de sombres présages.

Anormalement chastes, comme empêchés, les héros de ce roman étrange passent leur temps à se fuir. Voulant saisir l'absolu, ils esquivent, éludent ou diffèrent le profane et le prosaïque : engagements, mariage, sexualité... Souvent, au détour d'un paragraphe, Alain-Fournier maquille le désir sous le fard blanc de l'innocence feinte et le lecteur, surpris, a l'impression de déflorer de juvéniles secrets.

J'avais le souvenir, lointain et imprécis, d'une oeuvrette fastidieuse et vaguement cucul la praline et je découvre -l'avais-je lu, au fait ?- un livre qui écorne le coeur et l'âme avec ses féeries frelatées et ses réminiscences vaguement nôtres.

Poème courtois, roman d'aventures, délire symboliste, le Grand Meaulnes est une caverne d'Ali Baba où s'abouchent Dickens et Debussy, Verlaine et Ensor, Stevenson et Perrault. Comme un (mauvais ?) rêve où flottent, indistincts, les spectres de notre passé...

L'écriture fluide et cristalline d'Alain-Fournier, la lumière éthérée dont il enrobe ses phrases, ses énigmatiques, car limpides, têtes de chapitre, les passions chimériques qui meuvent ses personnages, tout concourt à faire de ce roman une merveille de mélancolie.

* M. Proust, du côté de chez Swann
Lien : https://lavieerrante.over-bl..
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