Albertini Antoine – "
Malamorte" – Lattès / Livre de poche, 2019 (ISBN 978-2-253-18146-0)
Un roman plutôt décevant, pour deux ou trois raisons hélas facilement repérables.
En effet, bien que n'en étant plus à son premier roman policier, l'auteur se réfugie dans les clichés les plus éculés de ce genre littéraire :
- l'enquêteur est persécuté (mais pas trop quand même) par sa hiérarchie parce qu'il voulut se montrer trop honnête,
- il a bien sûr une Grande Peine de Coeur car une mystérieuse "elle" l'a plaqué,
- de ce fait il se saoule à longueur de pages à grandes lampées de bière,
- bien évidemment il se traîne dans une voiture épuisée (sempiternelle reprise de Colombo) sous une météo constamment exécrable.
L'auteur nous inflige là une figure de l'enquêteur "loser" la plus éculée, la plus standardisée peuplant la littérature policière états-unisienne depuis quelques myriades de décennies. Et la fin du roman, allant de rebondissements en rebondissements de plus en plus désastreux, n'est qu'une concession de plus aux standards les plus usés du genre.
Ce manque d'originalité écrase hélas les aspects positifs du récit. C'est bien dommage car l'auteur dispose visiblement d'une bonne connaissance des spécificités du contexte corse, qu'il parvient à rendre dans de brefs rappels (allusion à l'assassinat du préfet Erignac et à la mise en scène déclenchée par les politicards de la métropole pp. 23-28),
ou de brèves anecdotes souvent drôles, comme par exemple la grève annoncée par erreur se terminant par une vraie grève (pp. 132-133),
ou encore dans de belles descriptions des paysages, même s'il en fait souvent un peu trop avec des formules comme
"la voûte lépreuse du ciel filtrait la lumière d'un jour déjà pressé d'en finir" (p. 98)
ou – plus rigolo –
"un ciel neurasthénique et une pluie brumeuse transformaient le paysage en décor de film d'auteur scandinave" (p. 130).
Plus largement, hors du contexte spécifiquement corse, l'auteur campe quelques portraits bien vus, comme ce personnage central de
Mohamed Cherkaoui, au "parcours habituel des trimards marocains" (p. 16) menant à une certaine "réussite" sociale, ou ces représentants de l'Etat central parachutés sur l'Ile de Beauté sans en rien connaître, dans la plus pure tradition du mépris et de la morgue des "hauts" fonctionnaires franchouillards pour tout particularisme local.
Mais la simple et neutre description (pp. 161-168) du raid junior de motocross s'avère insuffisante à rendre le côté odieux de cette activité imposée par des parents enrôlant leurs petits garçons dès l'âge de huit ans (!!!) dans ce "sport" immonde reflétant leurs propres rêves ratés.
Il en va de même des descriptions de ces friches urbaines laissées à l'abandon (pavillonnaires, commerciales ou industrielles), véritables chancres qui défigurent aujourd'hui de nombreux abords de villes, en Corse et partout ailleurs.
Bref, l'auteur "pourrait mieux faire" (inusable formule encore présente dans les bulletins scolaires d'aujourd'hui) en renonçant aux clichés épuisés du genre, en se creusant la cervelle pour inventer de nouveaux cadres d'intrigue, en tirant un meilleur parti de sa connaissance de la société Corse.
Le hasard fait que j'ai lu ce roman quasi en même temps que ceux d'
Olivier Bocquet qui s'avèrent beaucoup plus originaux !
Bon, étant tout de même soucieux d'équité, je tâcherai de lire l'un ou l'autre des autres romans publiés par cet auteur, histoire de vérifier s'il n'aurait pas déjà fait mieux.