Citations sur Madame Hayat (434)
La littérature a besoin du courage, et c'est le courage qui distingue les grands écrivains des autres.
À Dieu aussi il arrive de mal jouer sa partition ; le morceau n’en est que plus intéressant.
(p. 219)
En dehors de ce qu’il me restait du passé, je n’avais plus aucun rapport avec moi-même. Je songeais à la confiance que j’éprouvais autrefois, aux émotions qu’alors elle nourrissait, émotions clairsemées, discrètes, inoffensives, comme de petites fleurs des champs, et à présent desséchées, piétinées, égarées au milieu d’émotions neuves qui, elles, me lacéraient l’âme et y laissaient de profonds sillons, et c’était avec étonnement, avec admiration même, à vrai dire avec incrédulité, que je me souvenais de mes sentiments passés, “étais-je vraiment cet homme-là ?”, pensais-je, et n’en revenais pas.
(p. 197-198)
A chaque livre , je changeais d'époque, de lieu, et plus important encore, d'identité, et, me défaisant d'un insoutenable sentiment de captivité, j'accedais à une liberté a laquelle personne ne pouvait imposer de frontières. Malheureusement cette sensation ne durait pas, dès que le roman était refermé je retournais a l'artificialité d'un monde sans issue, parmi les hommes que je ne comprenais pas. Et pour moi même aussi, j'etais l'un deux. Je ne savais pas décrire les sentiments qui m agitaient, je n'arrivais pas a saisir les pensées qui me fuyaient. Car j'avais decouvert que les pensées ne viennent pas seules, qu'a côté de chaque pensée il en existe une autre, dissemblable, celle qui appartient au réel .
Mais on n’apprend pas grand-chose sur l’existence, dans les familles heureuses, je le sais à présent, c’est le malheur qui nous enseigne la vie.
La perspective de retrouver Sila le lendemain matin m'avait redonné de la sérénité. Se mettre au lit le soir en sachant que le lendemain on pourra se confier à quelqu'un, cela change tout.
( p.92)
« Même les femmes les plus douces ont un goût amer . »
NIETZSCHE .
« La vie des gens changeait en une nuit.
La société se trouvait dans un tel état de décomposition qu’aucune existence ne pouvait plus se rattacher à son passé comme on tient à des racines.
Chaque être vivait sous la menace de sombrer dans l’oubli , abattu d’un seul coup comme ces pantins qu’on prend pour cibles dans les fêtes foraines » .
Ma place était dans ce monde hors du monde, ce monde privilégié et protégé où les réalités de l’existence, avec leurs laideurs et leur douleurs, étaient enfin révélées, sues, comprises, et qui en les nommant leur donnait une valeur et un éclat nouveaux, proprement miraculeux. Je pourrais devenir critique littéraire, pensai-je après le cours de madame Nemin. Dehors j’étais quelqu’un d’autre, certes, mais ici je me sentais honnête et courageux.
La vie des gens changeait en une nuit. La société se trouvait dans un tel état de décomposition qu’aucune existence ne pouvait plus se rattacher à son passé comme on tient à des racines. Chaque être vivait sous la menace de sombrer dans l’oubli, abattu d’un seul coup comme ces pantins qu’on prend pour cible dans les fêtes foraines.
Ma propre vie avait changé du jour au lendemain. Ou à vrai dire, celle de mon père. À l’issue de divers événements que je n’ai jamais compris, un grand pays ayant décrété “l’arrêt de l’importation de tomates”, mille hectares de terrain agricole se transformèrent en une immense décharge rouge. Une phrase donc avait suffi à ruiner mon père, cet homme qui, avec une témérité typique de ceux que leur travail au fond dégoûte, avait investi toute sa fortune dans un seul produit. Au matin d’une nuit agitée, il était mort d’une hémorragie cérébrale.
La violence du choc était telle que nous n’eûmes même pas le temps de porter le deuil. Nous vivions un bouleversement, en spectateurs appliqués et participants attentifs, mais sans réellement réussir à comprendre ce que la mort de notre père impliquait. Une vie que nous croyions ne jamais devoir changer venait de s’effondrer d’un coup, avec une facilité proprement terrifiante. Nous tombions dans un gouffre inconnu, mais la profondeur de ce gouffre, où et quand aurait lieu l’atterrissage, je l’ignorais. Je devais le découvrir plus tard.
(Incipit)