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Citations sur Le premier exil (70)

Lorsqu'il fut questionné, l'officier qui mena l'attaque résuma la situation en une phrase courte et définitive : " L'autorité est au-dessus de la science ".
Il y avait, dans cette manière explicitement fasciste de s'attaquer non seulement à la jeunesse, non seulement aux étudiants, mais à la pensée, aux penseurs - quel que fût leur âge, quelles que fussent leurs opinions politiques -, une violence nouvelle qui fit fuir d'Argentine des centaines et des centaines de professeurs.
Pour des raisons différentes et semblables à la fois, le gouvernement interdit aux psychanalystes d'exercer un métier s'ils n'étaient pas diplômés de l'Ecole de Médecine. Mon père venait d'être nommé professeur de psychologie à l'Université de Rosario ; ma mère et lui exerçaient tous deux comme psychanalystes sans être médecins. Autant dire que le chemin de l'exil nous ouvrait grand ses bras. Et l'Uruguay, alors, n'était pas seulement l'éternelle promesse d'un temps vacant, suspendu, qu'il est encore de nos jours, c'était aussi, comme la Suisse le fut pour l'Europe, un petit havre de démocratie égaré dans un continent que le feu et le sang commençaient de dévorer de toutes parts : lorsque nous sommes partis d'Argentine, le Brésil et le Paraguay vivaient déjà sous des dictatures militaires et le Che venait d'être assassiné en Bolivie. L'apathie de Montevideo, pendant quelque temps, allait nous permettre de l'ignorer, mais la page la plus sombre de l'histoire du continent sud-américain s'ouvrait déjà sous nos yeux.
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La vie est une longue blessure absurde où chacun subit ou provoque - et souffre en subissant, et souffre en provoquant - des exils et des défaites; Peut-être, je ne saurais le dire, même celui qui commet des abus, des exactions, souffre de sa souffrance de tortionnaire. Si le bien et le mal sont souvent inséparables dans les actes des enfants - que dire de nos actes d'adultes? L'amour et l'écriture, par exemple, sont-ils autre chose que des blessures qu'on s'inflige pour se souvenir qu'on est encore en vie ? Et ces blessures qu'on s'inflige, ne blessent-elles pas autant nos proches, ceux que nous aimons, que nous-mêmes ?
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Nous avons tous appris à parler comme nous avons appris à marcher : en tombant mille et une fois.
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Penser à la mort n'est pas la meilleure manière de la connaître. Penser à la mort n'est pas la meilleure façon de mourir - mais c'est pour certains, comme moi, la seule manière de vivre.
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Oui, la mort a ceci d'irrémédiablement beau et terrifiant à la fois : en ouvrant une nouvelle ère de notre existence, celle de l'absence de l'être cher et disparu, elle débute un cauchemar, ou une série de cauchemars plutôt, et les débute de telle sorte qu'on croit constamment que d'un moment à l'autre on va se réveiller - et que la mort n'aura pas eu lieu.
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En 1971, la situation politique était compliquée, grave, dangereuse-elle n'était pas encore désespérée. 1971 fut la dernière année où, en Uruguay, on put espérer. Et toute notre vie était illuminée par cet espoir, fût-il, on peut le dire aujourd'hui, le plus absurde et présomptueux des espoirs: c'est-à-dire le plus fort, le plus coriace des espoirs, puisque le propre de l'espoir-pour revenir à Gramsci-est de puiser sa force dans la désespérance. (p. 276)
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Et si les jours s'allongent avec l'âge, si les échecs comme les réussites peu à peu deviennent indifférents, si quelque chose en nous s'affaisse, s'éteint, s'amoindrit, il ne faut surtout pas s'en plaindre : que nos jours en vieillissant ressemblent de plus en plus à de longs crépuscules d'été nous permet - comme nous permettait enfants l'incrédulité - de continuer de vivre en sachant que seule la nuit nous attend mais sans cesser de nous émerveiller du simple fait d'exister.
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Ayant eu vent de notre amitié, ma mère décida d'inviter Abu à dormir à la maison. Dès qu'il le vit arriver, Sebastián, mon frère, mon seul et grand frère, âgé déjà de huit ans, éclata en sanglots. Il n'avait jamais vu un Noir de sa vie. La soirée s'annonçait dramatique : elle fut tragique. Ma mère réussit à calmer les pleurs de mon frère – qui, peu après, refusa de s'asseoir à table avec mon ami pour le dîner. Puis, après que nous avons dîné dans des pièces séparées, comme Sebastián s'opposait, quelles que fussent les conditions, à dormir sous le même toit que lui, ma mère, pétrie de honte et de chagrin, se résigna à appeler les parents diplomates d'Abu afin qu'ils vinssent chercher leur sombre progéniture.
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Double discordance de l'enfance. Ou de cet âge plutôt - que j'appelle jeunesse - où l'enfant n'est plus tout à fait privé de mots. A tout âge, la mémoire reste un miracle insoluble de bruit et de silence ; elle est inévitablement, toujours, cette troisième forme à priori de la sensibilité où le temps et l'espace se confondent - où un goût, une odeur, un son, une caresse, une image seront à jamais plus puissants qu'un témoignage.
Mais qu'il est difficile de ressusciter la mémoire de cet âge singulier où les mots nous permettaient de nous souvenir et où la vie pourtant était encore si vivante, si rapide, si pleine d'oubli ! La mémoire d'alors est plus mémoire que partout ailleurs : la constellation qu'elle forme des instants passés avec les moments du présent a autant d'étoiles que de trous noirs. Et c'est pour ça qu'il me faut écrire, cherchant dans les failles des mots, dans les noeuds du fil du langage, à obscurcir plutôt qu'à éclaircir, à attiser plutôt qu'à apaiser - à créer plutôt qu'à reproduire. Il me faut écrire - même s'il est douloureux de ne réveiller cet âge frétillant que pour le faire ici mourir.
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La mer et la mort se ressemblent : peu de choses nous attire davantage.
Et ce n'est pas par hasard que lorsqu'on prononce ces deux noms un troisième nom nous revient : mémoire. Si le langage a été donné à l'homme pour qu'il témoigne avoir hérité ce qu'il est, c'est la mer, l'océan, l'inlassable mouvement d'approche et de retrait des vagues qui ôte et donne à la fois, qui lui permet ou le contraint, en formant cette constellation divine où les instants passés deviennent lisibles grâce aux moments du présent, de s'en souvenir sans cesse.
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