Ma folie te dépassait, elle te jetait par terre. Tu détestais ma façon de me déclarer faible et de parler des autres en termes de danger, tu disais que pour moi les autres rayonnaient trop et que je devais m’en protéger en les regardant de loin.
Je me demande pourquoi les arbres doivent servir à ça, encore aujourd’hui, à me laisser voir ce qu’ils auraient dû me cacher.
De cette vie qui se perd dans la nuit des temps et qui aura raison de tout, qui rejaillira du pire pour s’imposer à nouveau et reprendre du début toutes les erreurs du passé, je n’en veux plus…
Entre moi et la réalité, il y avait une grande différence d’âge.
Quand tu m’as quittée, tu as dit avoir senti ma peur et que de la sentir t’a fait perdre le fil de notre histoire. Pour toi, avoir peur voulait dire souffrir devant l’hypothétique, ça voulait dire n’être pas à la hauteur de la vie, ça voulait dire plier l’échine avant le temps et mettre sur pied son propre malheur.
C’est vrai que tu as fini par m’aimer, mais le décalage de ton amour en face de mon amour là depuis le début lui donnait un air de labeur ; pour m’aimer, il a fallu y mettre du tien, il a fallu te persuader.
Il me semblait qu'en écrivant on ne libérait rien du tout, que plutôt on s'aliénait, qu'on se mettait la corde au cou.
Devenir écrivain était pour toi un vieux rêve et pour moi, l'aboutissement de mon asocialité.
Que tu écrives m'a longtemps empêchée d'écrire. Si tu m'avais aimée pour la vie, j'y aurais renoncé à jamais. Quand tu es entré dans ma vie, je t'ai donné toute la place en sachant que tu n'en demandais pas tant, tout le monde sait que trop donner est une déviance, que c'est de l'incoordination, qu'en donnant trop on donne des choses dont personne ne veut, comme des vêtements en tricot ou des photos de soi enfant. Souvent on donne pour rappeler aux autres qu'ils n'ont pas de cœur.
Quand j'étais petite, il est possible qu'en priant trop pour moi mon grand-père ait inversé les bienfaits de ses prières, qu'il ait épuisé le ciel et que, par exaspération, on m'ait jeté un sort de là-haut ; il est possible que ce soit à cause de lui si tu es venu à moi.