Un roman à corps et à cri… Un corps charcuté et des âmes en détresse, un monde en pixels et papier glacé.
C'est l'histoire de Rose et Julie, une styliste et une scénariste, prêtes à tout pour garder leur homme. Et ce tout, c'est la chirurgie plastique à répétition, c'est une sexualité sans plaisir, c'est être prêtes à mourir pour lui.
Des femmes d'une grande solitude aussi, on ne leur connaît pas d'amies et elles sont coupées de leur famille. Elles ont bien un travail, même passionnant, mais c'est comme si la seule chose qui compte c'est l'Homme et le corps qu'elles modèlent pour lui.
Des hommes qui pourtant n'en demandent pas tant… Si l'un fantasme sur le corps mutilé, d'autres regrettent cet acharnement qui certes embellit la silhouette, mais la transforme aussi en statue impersonnelle.
Rose et Julie sont obsédées par le corps, une folie où la transe mystique s'acquiert à coup de collagène ou de silicone. Il ne s'agit pas seulement de la recherche de beauté et de l'amour, mais de comportements poussés à l'extrême qui deviennent pathologiques et suicidaires.
Une histoire qui se passe dans un monde très éloigné du mien et j'espère qu'il le demeurera pour les prochaines générations. Les poses des stars de magazine sont artificielles, elles ne représentent pas plus la réalité qu'une Cendrillon ou une Belle au bois dormant.
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Les thèmes habituels de l'auteure sont traités ici: mal de vivre, importance maladive de l'apparence, égoïsme, violence, dégoût de soi, etc. C'est intéressant à lire, mais cela démontre aussi toute la fragilité de l'auteure.
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Elle avait envie de parler des images comme des cages, dans un monde où les femmes, de plus en plus nues, de plus en plus photographiées, qui se recouvraient de mensonges, devaient se donner les moyens de plus en plus fantastiques de temps et d’argent, des moyens de douleurs, moyens techniques, médicaux, pour se masquer, substituer à leur corps un uniforme voulu infaillible, imperméable, et où elles risquaient dan le passage du temps, à travers les âges, de basculer du côté des monstres, des Michael Jackson, des Cher, des Donatella Versace. Dans toutes les sociétés, des plus traditionnelles aux plus libérales, le corps des femmes n’est pas montrable, enfin pas en soi, pas en vrai, il restait insoutenable, fondamentalement préoccupant. Quand cette insoutenable virait à l’obsession, le monde prenait les grands moyens pour traiter la maladie, des moyens d’anéantissement ou de triturations infinies, toujours en rapport avec le contrôle de l’érection des hommes, pôle absolu de toute société humaine.
Charles Nadeau était un photographe pour qui elle [Rose] avait travaillé pendant des années, dans ses yeux il y avait plus de douceur que dans ses photos. Les photos devaient être vendeuses et la vente était une chose qui devait frapper, vous prendre à la gorge, enfin c’est ce qu’on laissait entendre partout autour, dans son monde de femmes marchandées.
Encouragé par le corps de Julie qui se penchait sur lui, encouragé aussi par ses questions qui le relançaient, Charles avait fini par céder et parler de la boucherie de Pierre Nadeau, son père, en donnant des détails qu’il s’était promis de ne jamais mettre en mots, de peur de tout déterrer, de ramener au vif du présent l’abomination passée. Les hésitations, la pudeur du début avaient vite laissé place à un déversement impossible à arrêter. Sa crainte face au tabou trouvait à s’apaiser au fur et à mesure que son récit prenait forme et que Julie, qui n’entendait plus les enfants, et qui ne percevait du monde que l’extraordinaire de ce récit, laissant voir sa stupéfaction.
Charles avait gardé de son enfance des souvenirs terribles et remplis d’angoisse, justement, d’une vraie angoisse de pièces de viande suspendues, celles de son père et de sa boucherie ; d’une chambrette surtout à l’intérieur de la boucherie chargée du froid et de l’odeur de la mort où son père avait l’habitude de l’enfermer chaque fois qu’il avait des crises d’angoisse et qu’il réclamait sa mère et sa sœur parties vivre dans une autre ville, alors qu’il avait douze ans. Il lui avait parlé de ses visions de pièces de viande ouvertes, dépecées, cordées, de son sentiment que la vie allait prendre dans cette chair pour l’attraper, le mettre en pièces destinées à être à leur tour suspendues et, qui sait, à se remémorer cette vie où elles formaient un tout.
Sa sœur Marie-Claude avait suivi sa mère Diane à l’extérieur de la ville et lui, Charles, avait dû rester avec son père dans sa maison et sa boucherie attenante. C’était mieux ainsi, pensait la mère, question d’identification, de grandir avec le bon sexe, officiellement donné à la naissance.
Pierre Nadeau n’avait pas seulement ses manières brutales de boucher, il avait aussi quelques fêlures de l’âme à reprocher à son propre père, fêlures par lesquelles était passée la folie, la vraie, celle qui produit des voix, des jacassements, qui ouvre sur l’invisible peuplé de bestioles. Charles avait beaucoup à dire sur son père, qui avait bien failli le rendre fou : ses explosions qui avaient suivi de près le départ de Diane et de Marie-Claude, qui étaient devenues de plus en plus fréquentes, de plus en plus sourdes, et qui avaient fini par lui faire perdre la boucherie familiale en moins d’un an, avant de le mener à l’hôpital psychiatrique où il se trouvait encore ; ses bouffées, ses montées vers l’enfer, ses dérapages qui déroutaient Charles, forcé de mettre le pied dans les ténèbres du père qui les lui faisait voir par bribes, effrayantes ; ses mondes de télépathie, de dangers de mort, de créatures femelles assassines et mutantes, d’informateurs de l’au-delà, de signes de catastrophes planétaires, de conspirations élaborées contre lui en haut lieu, au Gouvernement, dans les sphères du Pouvoir Suprême.
Pour les hommes, comme pour les femmes d'ailleurs, la beauté des femmes était incompatible avec l'échec, la folie, le malheur ; il était inconcevable que les belles femmes puissent mourir jeunes ou qu'elles se suicident, simplement parce qu'elles étaient belles ; il leur était intolérable qu'elles se détruisent, intolérable que leur beauté soit endommagée par elles-mêmes, enfin que cette beauté ne soit pas une ressource naturelle, un bien public protégé par des lois. Dans cette perspective très répandue, seules les femmes ordinaires ou laides pouvaient échouer, se suicider ou être assassinnées, avaient droit au désespoir parce que leur déchéance devenait compréhensible (...) : tout ce qui dérogeait à la beauté, chez les femmes, même juste un peu, tombait dans un no man's land.
… elle était une Star, elle se regardait elle-même sur une scène autour de laquelle elle plaçait la foule, qui hurlait à son adresse, vois-moi, vois-moi que je m’aime. Elle se sentait pathétique, elle se savait ridicule. (Seul, p.141)
C’était ça, le plus grand plaisir de l’existence : être adulée, aspirer les autre par un dispositif qui les gardait à distance, se remplir des autres sans les prendre, s’emparer de leur amour, sans le leur rendre. (Seuil, p.139)