Impression mitigée, même si je dois reconnaître avoir dévoré ce roman plein de péripéties dramatiques, de crises de conscience cornéliennes, de sentiments exaltés.
On peut dire que
Rachel et les siens est un roman à thèse : « les siens », sont une famille au sens large, dont les membres sont aussi bien juifs qu'arabes. La thèse, c'est que dans l'empire ottoman vieillissant du début du 20ème siècle, les Juifs et les Arabes vivaient en si bonne intelligence qu'ils pouvaient former de telles familles ; et bien sûr ce temps était heureux. Mais cela ne pouvait durer, étant donné la propension des sociétés humaines à entre-déchirer absurdement. L'arrivée de plus en plus massive des Juifs ashkénazes fuyant les persécutions européennes dans un territoire laissé à l'abandon par ses anciens maîtres ottomans et ses nouveaux gestionnaires anglais font rapidement monter les tensions. le nouveau gouvernement turc met en place une politique de purification ethnique à l'encontre des Juifs. Ensuite ce sera l'éclosion puis l'affirmation du nationalisme israélien. le roman d'Arditi permet d'apprendre beaucoup sur les années 20 et 30 au Proche Orient.
Tout cela est passionnant, mais l'éclairage qu'il projette sur ces événements donne une lumière si crue qu'il éblouit plus qu'il n'éclaire à proprement parler. le trait me semble forcé et j'attribuerais cela à la technique du romancier, non à ses convictions (que personnellement je partage). Nulle part dans le livre on ne sait ce que signifie pour Rachel être juive (à part être perçue comme étrangère) : Arditi ne fait aucune allusion à la religion, ni aux traditions juives. Elle n'est juive que dans le regard des autres. de façon tout aussi schématique, apparaît un personnage (par ailleurs fin, cultivé, beau, et tout et tout) viscéralement contaminé par un antisémitisme qu'il diagnostique lui-même, mais ne parvient pas à guérir. Il a beau tomber amoureux de deux femmes juives, se fiancer à l'une et épouser l'autre, c'est plus fort que lui, il ne peut s'empêcher par moments de se moquer des « youpins » et de leur vouloir du mal. Cette présentation est totalement absurde. Les antisémites hélas se donnent des raisons pour justifier leur racisme, ils y croient mordicus et si on les pousse dans leurs retranchements, ils finissent par les énoncer en pleine bonne conscience.
Ainsi, dans
Rachel et les siens, toutes les souffrances et les contradictions liées à l'appartenance au « peuple » juif sont décrites avec violence, avec feu, mais elles restent paradoxalement abstraites. Je crains qu'il n'en aille de même dans la façon dont Arditi imagine Rachel incapable d'aimer sa seconde fille, Rebecca.
Ce livre se dévore, je l'ai dit, son style est facile, l'intrigue prenante ; mais il a les défauts de ces qualités, si j'ose dire. le découpage en scènes très courtes finit par lasser ; l'abus des expressions outrées écoeure un peu (dans ce roman, on s'aime « infiniment », on s'adore, on se serre dans les bras l'un de l'autre à s'étouffer...etc, etc) .
PS. Chaque scène est précédée d'une mention du lieu, de la date, de l'heure. Je me demande ce qu'il faut penser de cette pratique trop répandue dans les romans actuels. Elle vient du cinéma : on comprend qu'un réalisateur puisse avoir besoin de mette au début d'une nouvelle scène un bandeau du genre « 3 septembre 1968, 28 rue des Saints Pères, 23 heures », à supposer qu'il soit important de connaître ces éléments. Mais un romancier ? Est-il si rebutant d'écrire « Trois jours plus tard » ou « Le soir de ce même jour » ou « Pendant ce temps, au Bazar d'Istamboul »… ? En tout cas, ça éviterait au lecteur bientôt gâteux comme moi de devoir à chaque début de chapitre se reporter à la mention du chapitre précédent pour savoir combien de temps s'est écoulé entre les deux scènes….