S'inquiéter seul, c'est précipiter l'angoisse; mais s'inquiéter à deux, c'est déjà se consoler.
Je me souviens qu’à la gare de Sigmaringen le docteur Destouches consultait à même le sol, en authentique médecin des pauvres. S’il y a aussi secouru des Allemands en détresse, il a certainement entendu ce qu’ils disaient et ce qui se disait alors : "Mieux vaut une fin dans l’horreur qu’une horreur sans fin". Ce n’est pourtant pas l’image que je garde du docteur. Une autre me restera. Une fois, alors que la nuit était tombée sur la ville, je regardais le parc de l’une des fenêtres du château. Il était assis sur un banc, tenant son chat par une ficelle accrochée au collier. Les coudes sur les genoux, le visage penché vers le sol, il lui parlait tandis que le félin l’écoutait attentivement.
Le lendemain, je le croisais au château, où il était invité à déjeuner. En le menant à l’étage, je lui rappelai cette image qui m’avait saisi et touché, et je me permis d’ajouter : "Alors, docteur, toujours seul ?" à quoi il répondit aussitôt : "Je m’entraîne à la mort".
Les raisons de cette sauvagerie qui s'est emparée de tant des nôtres, car il y a bien eu une logique à tout cela. Elle est si fine et si fragile, la membrane qui nous protège des horreurs que nous pourrions commettre. Il suffirait d'un rien.
p 333
Les bras chargés de livres, M. Déat s'adressa devant moi à l'un de ses collaborateurs :
« Tu te souviens de Jeanin ? Je viens d'apprendre qu'il a récolté six ans de travaux forcés. Et tout ça pour quoi ? Pour avoir été mon garde du corps... C'est ça la France : on lèche, on lâche, on lynche. »
-"Il dit qu'en temps normal, ici, on doit pouvoir oublier sa valise dans la rue pendant toute une semaine et être sûr que si quelqu'un y touche, c'est pour l'abriter de la pluie."
"Sigmaringen, c'est la communauté réduite aux caquets."
Je repasse , comme vous le constater - le journal? - Je repasse le journal.
- ça se fais , ça ? insista-t- il .- lire le journal froissé le matin , c ' est risquer d 'avoir pour la journée un faux pli dans le jugement .ces feuilles doivent être livrées au maréchal parfaitement plates , sans la moindres pliure ,afin également que l' encre ne lui tache pas les doigts.
L'école m'avait appris à me taire, ce que les Français comprenaient mal, eux qui connaissaient le luxe suprême d'une conversation sans objet.
On ne regardait plus trop vers l’avenir de peur de ne pas s’y trouver. Page 303
Le document, l’essai, l’histoire, le journalisme c’est le terrain de l’exactitude. Le roman c’est le terrain de la vérité.
Il y a des situations qu’on ne peut expliquer que par le roman parce qu’on est dans l’absurde, dans la folie, dans quelque chose qui est indicible ou improuvable est c’est là que le roman intervient.
Sigmaringen Pierre Assouline La Grande Librairie le 16/01/2014, à propos d’une citation en début de son roman : Quand la vérité dépasse 5 lignes, c’est du roman. Jules Renard