Citations sur Vive la France (13)
J'entends encore Bébert m'affranchir de sa voix cassée par le perniflard :
- Des résistants, personne en a jamais vu. Y en a peut-être eu dix mille en tout. Je parle d'avant 45, naturlich, parce qu'après y en a eu vingt millions ! A la vérité, tout le monde pensait qu'à becter, qu'à trouver du perlo, un poêle à sciure ou de la margarine. Londres et Vichy on s'en tapait l'œil totalement ! On écoutait les radios, mais pas pour reluire aux Appels, juste pour savoir si les tickets de matière grasse étaient débloqués. On était plus que des tubes. On aurait balanstiqué tout le Vercors pour une portion de salsifis !
- C'est pas possible ? T'inventes ?
- Officiel ! A part quelques hypnotisés par la Ligne Bleue, quelques lecteurs d'Erckmann-Chatrian et les amateurs de choucroute, de résistants il n'y a eu en tout et pour tout que les schmoutz et les cocos. Par patriotisme ? Tu parles !...Simplement parce qu'ils avaient la Gestap' au derche !...Faut se souvenir de la fraternité régnante. Y avait intérêt à être au mieux avec sa bignole si on voulait pas déhoter à Ravensbruck !...
Mon confesseur met ça sur le compte des mauvaises lectures, mon psychiatre sur le compte du surmenage, ma femme sur le compte du beaujolais.
A l'entendre, il n'y aurait pas eu, à travers toute l'Histoire, de citoyens plus lopards que les französischs sous l'Occup'. Combinards, délateurs, lèches-train, anonymographes, faisant la queue dès potron-minet aux kommandaturs pour ranimer la vigilance fridoline sur les tapeurs de tickets de pain, sur les étoiles jaunes, sur les franchisseurs de zone nono, des fois même simplement sur le voisin de palier qui recevait du jambon de la cambrousse, ou sur la voisine, d'en face qui voulait pas se faire calcer.
Les Français ne lisent pas, ils achètent des livres. Ça n'entre pas dans leur cervelle mais dans leur budget.
Mon genre à moi, ce serait plutôt le sous-entendu, le style chantourné, l'approche chafouine. Assez voisin du style officiel, en somme.
Un hebdo littéraire a proposé récemment à ses lecteurs un petit jeu inspiré du fameux questionnaire de Proust. Parmi les questions, celle-ci : "Quelle est votre occupation favorite ?"
Le nave a répondu : "l'occupation allemande."
En quelques années, cinquante-six rois noirs nous ont rendu visite, salués par la double haie de gardes républicains...à la stupéfaction des anciens tirailleurs sénégalais.
Peut-être se donne-t-on l'illusion d'être encore en Afrique parce que les Africains sont à Paris ? Illusion ou pas, l'Elysée devient une succursale du Musée d'Outre-Mer et du bal nègre de la rue Blomet !
Maintenant Monsieur siffle "la 5e" en se rasant et Madame se pose des questions vachement castrantes à l'idée que Baudelaire s'envoyait des négresses.
A la cimaise des idées reçues on accroche d'office le mexicain basané, le chleu mélomane, l'asiatique obséquieux, le bic pédé, le polak saoul perdu, le québecois francophile, le juif errant, mais on oublie toujours le français con.
Je l'ai connu à la petite école de la rue du Moulin-Vert, mon pote, dans les années 30. Il était pas souvent en classe. Moi non plus. On se croisait juste des fois dans la cour, pendant les tours de piquet, sous les tilleuls. Il nous arrivait aussi de nous palucher dans les gogues à claire-voie, mais chacun son tour, en relais. L'américaine de la pogne. Entre-temps, on préparait doucement le certif.