AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
3,97

sur 254 notes
5
12 avis
4
4 avis
3
7 avis
2
3 avis
1
0 avis
Ce texte au combien célèbre, semble avoir été écrit entre 397 et 401, par un Augustin devenu évêque d'Hippone depuis peu (395). Les Confessions se composent de 13 livres : la trame des 9 premiers suit la vie d'Augustin, de sa naissance en 354 à Thagaste jusqu'en 387, moment où il s'apprête à retourner en Afrique, suite à sa conversion ; le livre 10 fait en quelques sorte transition, Augustin y parle de lui au présent, s'interrogeant sur la mémoire, sur le souvenir, sur le temps, parlant de son chemin vers Dieu, de la lutte quotidienne contre toute incitation à se laisser distraire de la quête du divin ; les trois derniers livres évoquent les Écritures et leurs interprétations.

Le qualificatif d'autobiographie accolée souvent à ce texte risque de provoquer une déception chez le lecteur qui y chercherait essentiellement des anecdotes, des petits faits pittoresques ou qui voudrait suivre avec précision l'existence de l'auteur. Ce dernier choisit quelque faits qui servent son propos, plus qu'il ne nous livre l'ensemble de sa vie, et il a aussi tendance à une forme d'abstraction, ne pas parler par exemple que de son enfance, mais aussi de l'enfance d'une façon plus générale. le but d'Augustin n'est pas de se replonger avec délice dans le souvenir, encore moins de se mettre en valeur. Son texte s'adresse dès les premières lignes à Dieu, il s'agit de faire louange, mais aussi une déclaration d'amour. Il est fait pour être lu par des hommes, avec une visée pédagogique : c'est en quelque sorte un récit exemplaire (mais pas modèle) d'un cheminement qui a amené un homme parmi d'autres, vers Dieu, ce qui a complètement transformé sa vie, lui a permis d'une certaine façon d'atteindre son accomplissement, être enfin pleinement homme. C'est à Dieu et non pas à lui-même qu'il attribue cet accomplissement : de lui-même, il dit surtout le plus contestable, les errements, les pêchés, il confesse ses fautes, fait acte de contrition.

Augustin a connu une réussite hors du commun : issue d'une famille plutôt modeste même si pas misérable, ses exceptionnelles qualités intellectuelles lui ont permis d'arriver à un âge relativement jeune (vers 30 ans) au poste envié de maître de rhétorique à Milan (où résidait la cour impériale). Il pouvait espérer continuer une belle carrière, devenir par exemple gouverneur d'une province. Sa mère venait de négocier un mariage avantageux que le jeune âge de la fiancée laissait en suspens. C'est à ce moment que d'une certaine façon il renonce à tout, et se dévoue à Dieu, ce qui lui apporte une forme de joie et de plénitude qu'il n'avait pas connu jusqu'alors. C'est ce bonheur qu'il tient à partager avec d'autres, ainsi que rendre grâce à Dieu de l'avoir élu.

Il est assez fascinant de suivre cet homme parmi les plus brillants, non seulement de son temps, mais de tous les temps, d'arriver en quelque sorte à la limite de la raison humaine, de butter sur une impossibilité de saisir. Il trouvera sa solution en répudiant en quelque sorte la raison, pour s'abandonner à un être transcendant l'humain, source de toute chose. Mais il ne pourra s'empêcher de penser, les trois derniers des Confessions sont des tentatives de lectures des Écritures. Avec une certaine humilité, il n'est pas sûr de ses interprétations, et admet même que d'autres pourraient être possibles. C'est que l'homme ne peut que tenter d'approcher le divin avec sa faible raison. La seule attitude possible, en dehors de l'humilité, est l'amour, et une forme d'abandon qui peut prendre la forme d'une sorte de transe mystique. La forme du texte ressemble d'ailleurs par moments à une sorte d'incantation, de chant.

C'est donc un objet atypique et composite, très personnel, très inconfortable parfois, même si fascinant. On peut l'approcher de différentes façon, ou ne pas arriver à y entrer. L'abandon au divin laisse à distance tous ceux qui y sont étrangers. Mais il y a tant de beauté formelle et tant de fulgurances sur ce qu'est l'humain que beaucoup de lecteurs pourront y trouver de l'intérêt même en ne partageant pas la foi d'Augustin.
Commenter  J’apprécie          382
Un texte d' un grand intérêt !
13 livres rédigés au début du 4e siècle.
Un des rares textes réellement autobiographique de l'antiquité ..
L'auteur ( baptisé depuis 10ans ) souhaite confesser ses pêchés et glorifier " le seigneur " son dieu.
Je passe sur le contenu théologique qui est d'une grande portée pour l'avenir du christianisme ( la grâce divine est nécessaire pour sauver le pêcheur et sans elle l'homme est pécheur et ne peut que le rester .. ).
L'aspect théologique ne doit pas éloigner ou rebuter un lecteur curieux de découvrir l'antiquité tardive de l'intérieur .. !!
L'auteur aborde avec une délicieuse et sincère honnêteté :
Son enfance .. son coté adolescent difficile .. la tentation manichéenne et réfutation du manichéisme .. la cour impériale ( de Constantin ) .. sa conversion .. la mort de sa mère.
Seul les 4 derniers livres sont presque exclusivement de portée théologique ..
Le reste de l'ouvrage est un portrait vivant de l'antiquité ..
Un délice .. des familles mixtes ... du dialogue .. de la cohabitation ..
On sent un monde assez serein qui échange des idées et qui prospère ..
L'introspection de saint augustin est un témoignage intime .. un texte précieux d'accès très facile ..
Accessible à un large public à la recherche d‘intimité avec l'antiquité tardive.
j'ai toujours plaisir à le relire car c'est savoureux et tellement vivant.
Ps : c'est d'autant plus poignant que juste après avoir terminé ce texte Saint Augustin évêque D'Hippone verra la province romaine d'Afrique s'effondrer ainsi qu'il serra le témoin du sac de la ville éternelle ( Rome ).
Commenter  J’apprécie          300
"Les confessions" commencent comme une longue litanie de glorification de Dieu et autres entreprises de mortifications de l'auteur, qui semble vouloir explorer toutes les nuances de son sentiment de n'être pas à la hauteur. Et puis soudain, au moment où le lecteur moderne va rendre les armes et refermer le livre, un homme, annulant les siècles, nous parle de tout ce qui fait le coeur vivant de nos tourments : la relation à sa mère, l'amitié, l'amour, le sexe, la parentalité, et puis la lutte contre soi-même, l'ambition, l'envie d'en découdre avec des adversaires de son propre monde aussi bien que des "Barbares", comme on disait, envie qui n'est finalement rien d'autre que le besoin de résister contre les forces bouillonnantes et inconnues qui sont en nous. Les litanies religieuses prennent alors une toute autre coloration : elles ne se tournent vers un dieu que pour mieux revenir à l'expéditeur, qui cherche à voir clair en lui-même.

L'auteur fait tout cela d'une manière qu'un éditeur d'aujourd'hui recalerait sans aucune forme de procès : il se livre un peu, retourne à ses litanies de culpabilité, perd son lecteur cent fois, l'endort, l'épuise, avant de le repêcher in extremis en provoquant, au détour d'une vingtaine de pages plus loin, un nouveau choc émotionnel... un plan brouillon, un style assommant, surtout quand, comme moi, on a découvert le livre dans sa traduction du 17ème siècle (au 20ème siècle, la traduction de Frédéric Boyer n'existait pas encore ; voir https://www.babelio.com/livres/Augustin-Les-Aveux/187113). Oui, mais voilà : l'homme qui livre en désordre tous ces sentiments et tous ces souvenirs, qui pourraient être les nôtres, qui auraient pu être vécus au 21ème siècle, cet homme a vécu il y a seize siècles. Seize siècles. SEIZE SIECLES. Il faut le voir plusieurs fois noir sur blanc pour s'en convaincre : une époque qu'on ne connaît que par des ruines, des parchemins, une époque que l'imagination de chacun doit reconstruire à sa guise... et que celui qu'on appelle Saint-Augustin ressuscite comme si c'était la nôtre. le temps fait l'objet d'une méditation célèbre dans le livre, mais à la lecture du texte, on se demande s'il existe encore...

Au moment d'appuyer sur le clic fatal pour poster ce petit texte, j'hésite... si j'ai ressenti une émotion et un plaisir si forts à ma première lecture des "Confessions", c'est parce que personne ne m'avait dit tout cela. J'avais été attirée par le titre, le siècle, mais je ne savais pas à quoi m'attendre, si bien que j'ai lu tout le début avec un sentiment de déception et d'ennui qui a donné son prix à ce que j'ai ressenti brutalement ensuite. Alors si je spoile le livre pour vous, même un tout petit peu, en décrivant mon expérience, votre émotion et votre plaisir pourront-ils être aussi forts que les miens ? Eh bien relisons ensemble les mots qui viennent de me venir, car il n'y a rien d'autre à ajouter : émotion. Et plaisir.
Commenter  J’apprécie          290
J'ai beaucoup aimé ce livre lorsque je l'ai lu il y a une dizaine d'année mais plus j'y pense et moins je l'aime.
Ce jeune débauché qui fait le désespoir de sa mère et qui trouve un jour l'illumination divine et devient une espèce d'extrémiste puritain ça me fait penser à ces fumeurs repentis qui emm. tout le monde dés qu'ils voient surgir une cigarette.
Chacun doit faire sa route et ses erreurs en respectant les autres M. St Augustin, chacun est libre de croire en un Dieu ou de n'y pas croire.
Commenter  J’apprécie          294
Les confessions...une plongée dans l'adoration de Dieu sa découverte. Ce n'est pas là à mon sens le plus intéressant, bien que son approche, différente de celle de Descartes par exemple sur la croyance en Dieu soit plus en rapport avec ce que je pense. Libre à chacun de croire ou pas, St Augustin se place en croyant convaincu, soit, le plus intéressant dans cet ouvrage et son analyse du temps...Voilà une réflexion profonde et pertinente que bien des philosophes reprendront plus tard. le passé qui n'est plus le futur qui n'est pas encore et ce présent sans étendu propre dans lequel nous sommes et demeurons, avec cette difficulté supplémentaire de savoir comment le mesurer...puis l'interrogation majeure, qu'y a avait-il avant la création...Dieu a crée mais d'où lui est venu l'idée? St Augustin pousse l'interrogation jusqu'à la limite de ce que l'homme peut imaginer entendre, au delà ce n'est que supputations et croyances....
Commenter  J’apprécie          201
J'ai beau être aujourd'hui un athée pur jus, il n'empêche que mon imaginaire, mon système de valeur, mon sens de la justice, et mes intuitions morales en général, sont encore largement influencées par le catholicisme romain, qui a marqué de son empreinte le continent européen. Il ne me déplaît donc pas de me replonger de temps en temps dans l'histoire des religions, pour trouver des anciennes querelles qui auraient encore un impact aujourd'hui.

Saint Augustin est un choix parfait pour cela : à son époque, les dogmes n'étaient pas encore figés, les idées foisonnaient, et on n'avait pas encore décidé si Jésus était divin ou humain, quelle place donner à l'âme, ou si les humains avaient un libre arbitre. Un bon potentiel d'Histoire-fiction, pour se demander comment on penserait aujourd'hui si un courant avait triomphé au lieu d'un autre.

Hélas, « Les confessions » n'est sans doute pas le livre idéal pour cela. le titre n'est en fait pas trompeur du tout : au lieu de grandes discussions théologiques, saint Augustin revient sur sa vie et en tire une longue liste d'erreur, de la fréquentation des femmes à celle de théologiens dans l'erreur, dont il se repent amèrement.

Pour le non-croyant que je suis, c'est un spectacle assez étrange de voir des gens vouloir prouver à tout prix qu'ils sont les êtres les plus misérables du monde. Et on ne peut même pas leur dire de se calmer, que mentir une fois par omission et manger un croissant de trop n'est pas si grave que ça au regard des horreurs du monde, car ça ne fait que leur donner la satisfaction d'ajouter l'orgueil à la liste de leurs péchés personnels.

Après avoir tenu bon une cinquantaine de pages, j'ai admis que ce livre n'était pas pour moi, et j'ai préféré me tourner vers d'autres cieux.
Commenter  J’apprécie          180
Voilà d'abord et avant tout le livre d'une âme chrétienne qui s'est enfin trouvée et qui revient sur son passé en l'évoquant devant son Dieu pour s'en repentir et Lui exposer sa reconnaissance.
Mais c'est également une oeuvre sublime qui saura séduire aussi bien le chrétien, que le littéraire ou le philosophe.
Commenter  J’apprécie          170
On a essayé, hélas bien maladroitement, de donner un autre titre à ce livre de Saint Augustin : "les Aveux" est un titre encore plus trompeur que "les Confessions". Le lecteur ne doit pas s'attendre à lire de l'autobiographique croustillant, des anecdotes frappantes, des plongées dans l'intimité d'un homme du IV°s, passé du paganisme à la fascinante église des Manichéens, et de là à l'église orthodoxe sous un très grand évêque, Ambroise de Milan. L'auteur est un théologien du IV°s, pour qui "confessions" n'a pas le sens que Rousseau, Nat Turner, Thomas de Quincey ou même quelque semi-écrivain contemporain, lui donneront plus tard. Ce n'est pas sa faute si le latin "confessio" dérive du verbe "confiteri", qui signifie proclamer sa foi. Aussi il ne faut pas être surpris si tout le livre est un discours du narrateur à Dieu lui-même, par lequel il mesure le chemin parcouru loin de Lui, puis à nouveau vers Lui. Ce livre profondément mystique doit être lu et accepté tel qu'il est, sans erreur sur ce qu'il donne.
Commenter  J’apprécie          150
Voilà un livre admirable, déjà par sa longévité. Ecrites il y a environ 1500 ans, les Confessions marquent par la pertinence de la vie décrite par St Augustin avec ce qu'on connaît aujourd'hui. L'écriture elle-même, ainsi que la clarté des souvenirs de l'auteur, sont remarquable entre autre par la vie qu'elles distillent et qui nous rend proche cet homme mort depuis si longtemps.
Par l'honnêteté de la mémoire qu'il décrit, St Augustin apparaît profondément humain et nous prouve en même temps la constance dans le temps de la nature humaine.

La vie de St Augustin s'est cependant déroulée dans un lointain passé. Archaïque par bien des aspects, en particulier par la place donnée aux femmes dans la société qu'il décrit. Certains aspects semblent cependant aussi très proches de nous: les relations de St Augustin avec ses parents durant sa jeunesse, l'exaltation de ses jeunes années, le conflit familial qui le tiraille entre son père athée et sa mère plus que croyante, le rejet de son père. Puis le rapprochement avec sa mère, jusqu'au traumatisme de son décès. Tout ceci fait penser à de la psychologie moderne.

Ces aspects, même décrits au travers d'un langage ancien et sans cesse interrompus par des incantations à Dieu, paraissent extrêmement honnête, et par là, proches de nous.

Dans son ensemble, l'ouvrage se décompose en trois parties, qu'on peut voir comme emblématiques d'une vie d'Homme.
Les neuf premiers livres décrivent la vie passée de St Augustin, et sont riches de sa recherche de Dieu partout dans le monde qui l'entoure.
Ces livres donnent aussi une leçon d'ouverture par la dénonciation par St Augustin de la thèse des Manichéens: en poussant le lecteur à refuser de croire que le mal serait une puissance égale à Dieu et qui l'affronte, St Augustin relativise le jugement du bien et du mal par les hommes en le transcendant. L'autre, quel qu'il soit, s'en retrouve ainsi réhabilité.

La deuxième partie est constituée du livre dix, et relève de la recherche de Dieu en soi.

La troisième partie, développée des livres onze à treize, procède elle de la recherche de Dieu dans un livre, la Bible.

On peut voir beaucoup de choses, je pense, dans cette progression de l'ouvrage. Je retiendrai pour ma part surtout les neuf premiers livres, passionnants et troublants d'humanité.

Commenter  J’apprécie          150
L'antiquité tardive avec la fin des Douze Dieux, de la Pax Romana et de l'unité de l'Empire, bientôt la prise de Rome et la chute de l'empire d'Occident, voilà une période qui ressemble à la nôtre. de grandes personnalités émergeaient d'une culture solide ce qui nous laisse espérer du siècle présent. C'est dans cet esprit que je reprends ce livre.

Je retrouve la hardiesse de l'éloquence d'Augustin, sa richesse en images : « Il est descendu ici-bas, celui qui est notre vie, il a souffert notre mort et il l'a tuée de l'abondance sa vie. D'une voix tonnante il nous a crié de revenir d'ici vers lui, en ce lieu secret, d'où il est venu à nous d'abord dans le sein d'une vierge où s'est mariée à lui la nature humaine, cette chair mortelle, pour n'être pas toujours mortelle ; et de là, pareil à un époux qui sort du lit nuptial, il a bondi comme un géant pour courir sa route » (p 77-8). Elle montre une proximité de Dieu aujourd'hui inconcevable, — questionnement incessant, vocabulaire intime qui présume une psychologie et une complicité du créateur. Parmi une infinité d'exemples : « Et maintenant, Seigneur, toutes ces choses sont passées, et le temps a adouci ma blessure. Puis-je approcher de votre bouche l'oreille de mon coeur et apprendre de vous, qui êtes la vérité, pourquoi les pleurs sont doux au malheureux ? Encore que présent partout, avez-vous repoussé loin de vous nos misères ? Restez-vous enfermé en vous-même, tandis que nous sommes roulés par le flot des événements ? » etc. (p 71). Paul Veyne écrit dans l'Empire gréco-romain (p 440) « Ce que n'offrait pas le paganisme, c'était l'amour d'un dieu aimant. […] le christianisme aura été une religion plus aimante, plus passionnante, il aura eu l'espèce de succès d'un best-seller qui vous prend aux tripes par sa chaleur éthique, par son dieu redoutable, mais aimant, avec lequel on peut converser intimement ». À propos, pourquoi diable le traducteur utilise-t-il le vouvoiement, inconnu du latin ?

Je m'émerveille de la robustesse, de la finesse d'introspection, de la puissance intellectuelle d'un homme issu de la petite bourgeoisie de province, formé par ses voyages, étudiant en rhétorique à Thagaste, Carthage, Rome, puis enseignant à Milan, enfin évêque d'Hippone. Un homme qui a connu, pratiqué, hiérarchisé les plaisirs : « Ni le charme des bois, ni les jeux ni les chants, ni les paysages embaumés, ni les festins magnifiques, ni les plaisirs de la chambre et du lit, ni enfin les livres et les vers ne pouvaient apaiser [ma souffrance] (p 73). Qui suggère que la culpabilité dans le plaisir ne vient pas de sa nature, mais d'un désir ignorant, frustré ou insincère. En citant quatre mots seulement du célèbre “amabam et amare amabam”, on perd de vue le regret d'une perversion du désir : “Je vins à Carthage, et partout autour de moi bouillait à gros bouillons la chaudière des amours honteuses. Je n'aimais pas encore, et j'aimais à aimer ; dévoré du désir secret de l'amour, je m'en voulais de ne l'être pas plus encore. Comme j'aimais à aimer, je cherchais un objet à mon amour, j'avais horreur de la paix d'une voie sans embûches”. (p 49). Augustin est reconnaissant des plaisirs qu'il juge compatibles avec la foi et l'amitié : “Si les corps te plaisent, c'est Dieu que tu en loueras, ô mon âme, reporte ton amour sur leur Auteur, pour ne point lui déplaire dans les choses qui te plaisent. Si les âmes te plaisent, aime-les en Dieu, car elles aussi sont sujettes au changement et c'est en se fixant en lui qu'elles se stabilisent ; autrement elles passeraient et périraient. Que ce soit donc en lui que tu les aimes, entraine vers lui avec toi toute celles que tu peux” (p77).

Bien sûr des éléments négatifs. Sa sainte mère Monique arrange son mariage pour mettre fin à une vie de désordre : “On poursuivait l'affaire ; la jeune fille était demandée. Il lui manquait deux années pour être nubile [c'est dire qu'elle avait une douzaine d'années]. Comme elle plaisait, on attendait” […] “Cependant mes péchés se multipliaient ; et quand on eut arraché de mon flanc, comme un obstacle à mon mariage, la femme qui était ma maîtresse, mon coeur où elle était attachée en fut blessé et déchiré, et traîna longtemps sa plaie sanglante. Elle était retournée en Afrique en vous faisant le voeu de ne plus connaître désormais aucun homme et en me laissant le fils naturel qu'il m'avait donné” (p 126-7). Les motifs de scandale évoluent…

Dans un autre domaine — lié au désir par les rêves —, je découvre à la relecture des pages étincelantes sur “les prodiges de la mémoire” (X, 8-25). Reconnaissance enthousiaste de sa diversité : mémoire des sens, des savoirs, des sentiments, souvenir du bonheur, et même souvenir de l'oubli. Affirmation de sa puissance : “C'est là que se conservent, rangées distinctement par espèce, les sensations qui y ont pénétré, chacune par son accès propre : la lumière, toutes les couleurs, les formes des corps, par les yeux ; tous les genres de sons, par les oreilles ; toutes les auteurs, par les narines ; toutes les saveurs, par la bouche ; enfin par le sens épars dans tout le corps, le dur ou le mou, le chaud ou le froid, le doux ou le rude, le lourd ou le léger, les impressions qui ont leurs causes hors du corps et dans le corps. La mémoire les recueille tous dans ses vastes retraites, dans ses secrets et ineffables replis pour les rappeler et les reprendre au besoin” (p 210). Aveu de l'empire du souvenir sur les rêves : “Mais elles vivent encore dans ma mémoire, dont j'ai longuement traité, les images de ces voluptés : mes habitudes de jadis les y ont gravées. Elles s'offrent à moi, sans force à l'état de veille ; mais dans le sommeil, elles m'imposent non seulement le plaisir, mais le consentement au plaisir et l'illusion de la chose même. Ces fictions ont un tel pouvoir sur mon âme, sur ma chair, que, toutes fausses qu'elles sont, elles suggèrent à mon sommeil ce que les réalités ne peuvent me suggérer quand je suis éveillé” […] “jusqu'à l'émission charnelle” (p 232-3).

Je passe, ou plus précisément je bute, sur les aspects théologiques : “l'intelligence” ou “la profondeur” de l'Écriture, les questions de création, de temps, de matière et de mouvement ; d'ailleurs, Augustin écrit (p 306) que s'il avait eu pour mission d'écrire la Genèse, il eut demandé l'aide de Dieu pour convaincre “les esprits incapables de comprendre comment Dieu crée”… Idem pour les écrits polémiques contre Arius, Donat, Pelage, les néoplatoniciens. Chaque siècle a ses préoccupations.
NB La pagination concerne l'édition Garnier Flammarion de 1964 (traduction J. Trabucco) que je ne trouve pas dans Babelio


Commenter  J’apprécie          141




Lecteurs (972) Voir plus



Quiz Voir plus

Philo pour tous

Jostein Gaarder fut au hit-parade des écrits philosophiques rendus accessibles au plus grand nombre avec un livre paru en 1995. Lequel?

Les Mystères de la patience
Le Monde de Sophie
Maya
Vita brevis

10 questions
440 lecteurs ont répondu
Thèmes : spiritualité , philosophieCréer un quiz sur ce livre

{* *} .._..