Une amitié

Je le détestais, même s’il ne m’avait rien fait. Et c’était justement ce rien, la question. Les murs nus de la chambre repeints en blanc pour mon arrivée. Le lit vide dans lequel je restais chaque nuit les yeux grands ouverts, cherchant une de leurs mains, un de leurs genoux, en vain. Cet appartement sans leurs bavardages, sans leurs disputes, sans leurs cris pour m’appeler, où ils s’obstinaient à ne pas être.

Beatrice , à l’époque, aussi absurde que cela paraisse aujourd’hui, ne jouissait pas elle non plus d’une grande popularité. Elle devait même avoir encore moins d’amis que moi puisque vers deux heures et demie de l’après-midi elle alla jusqu’à téléphoner à la maison. J’étais son dernier recours, en fait. J’habitais dans cette ville depuis un peu plus de quatre mois, et non seulement je ne m’étais pas intégrée, mais je ne voulais rien entendre : tout ce que je voulais, c’était mourir.

Et je te reconnais, toi, mon exact contraire. Ta chevelure magnifique, ton rouge à lèvres, tes ongles violets, et tu me serres dans tes bras en riant aux éclats. J’ai du mal à nous regarder.

Le noir, c’était ce qui m’effrayait le plus, enfant. Il suffisait de descendre au garage sans appuyer sur l’interrupteur, de laisser entrebâillée la porte de la cave, et il était là, muet et dense. À l’affût.
N’importe quel danger pouvait s’y tapir. Sorcières, bêtes effrayantes, monstres sans visage, ou même, rien : le vide. Je crois que c’est pour cette raison que j’ai dormi avec ma mère jusqu’à un âge insensé, que j’ai honte de dire.

Un jour, elle me le dit carrément : « Pourquoi tu ne changes pas de faculté, Eli ? En 2020 plus personne ne lira, tout le monde sera sur Internet. La littérature, c’est déjà obsolète, comment tu fais pour ne pas le voir ? »
(p.405)