Il voudrait pouvoir mener toutes ces vies parallèles. Les nuits à boire et les diners intimes, les plaisirs artificiels et la carrière ambitieuse.
La dilettante n'aurait pas dû croiser l'ambitieux s'ils n'avaient partagé cette même folie qui les pousse à brûler la vie par les deux bouts.
Il croyait avoir intégré, avec son diplôme, le cœur du pouvoir et s'aperçoit que ces jeunes militants jugent l’État dépassé, incapable de réagir à la grande peste qui menace l'humanité (le Sida).
Il a découvert une nouvelle élite, fondée non plus sur le diplôme mais sur la beauté, l'aisance et la notoriété.
Une certaine version de la sociologie de comptoir veut que les familles aristocratiques ou de la haute bourgeoisie aient longtemps orienté les fils soupçonnés d'aimer les garçons vers la diplomatie, afin d'exporter autant que possible les sujets de scandales vers de lointains pays et le secret des ambassades.
On m'a parlé de son génie anticipateur et de sa mégalomanie omnipotente. De son attention bienveillante pour les étudiants et de la séduction perverse qu'il exerçait sur ses collaborateurs. De son homosexualité affichée et de son amour vrai pour sa femme.
J’ai fini par comprendre qu’il y avait eu à la tête de l’école la plus en vue de la République une sorte de Don Juan visionnaire. Il avait bousculé les élites et frayé avec tous les présidents, transgressé les normes et happé tous les cœurs. Puis, soudain rappelé à l’ordre, une trappe métaphysique s’était ouverte sous lui comme sous les pieds d’un pendu, et il avait disparu, seul, dans une chambre d’hôtel. De son vivant, les personnages de cette comédie humaine avaient gardé le secret. Maintenant qu’il était mort, ils pouvaient enfin raconter son histoire.
La presse a commencé à s'intéreesser à ce patron si moderne. Richie reçoit les journalistes à déjeuner, soigne les « rubricards » éducation des grands quotidiens. Xavier Brunschvig, à la tête de sa communication, a eu une trouvaille pour contrebalancer ce surnom un peu trop « gay » qui lui ont donné les étudiants : « Les jeunes l'appellent surtout Richie D... pour riche-idée », glisse-t-il aux journaux. Désormais, la plupart de ses portraits mentionneront ce qualificatif inventé de toutes pièces.
Il est d'usage à l'ENA de laisser aux élèves le loisir de choisir s'ils veulent que leurs notes soient connues de tous ou pas.
Ne renoncez à rien. Signé Richie. (p. 282)