Bontems était mort. J'avais vu Bontems aller à sa mort. J'avais vu mourir un homme que j'avais défendu. Plus jamais je ne pourrais faire quoi que ce soit pour le défendre encore. On ne plaide pas pour un mort. L'avocat d'un mort, c'est un homme qui se souvient, voilà tout.
Hier, à la même heure, Bontems dormait sans doute. Son angoisse de la nuit était achevée. Aujourd'hui aussi. Et pour toujours.
Dans l'appartement, les lumières étaient demeurées allumées. Tout était silencieux. Je suis allé à la cuisine. La théière, les tasses étaient encore sur la table. Nous nous sommes assis, ma femme et moi, l'un en face de l'autre, comme tout à l'heure.
Nous sommes restés là, tous les deux, sans rien dire. J'ai pensé que demain matin, je n'irai pas faire cours, j'ai rectifié intérieurement : non, ce matin. J'ai regardé l'heure. Il était six heures passées. Hier, à la même heure, Bontems dormait sans doute. Son angoisse de la nuit était achevée. Aujourd'hui aussi. Et pour toujours.
Nous sommes arrivés devant la maison. Il faisait encore nuit. Le concierge nous attendait dans un grand état d'excitation. Des journalistes avaient essayé de pénétrer dans l'immeuble. Ils voulaient à tout prix s'assurer que je ne me trouvais pas chez moi. Car mon absence, à cette heure, signifiait la mort de Bontems.
On ne tue pas celui qui n'a pas tué
Le gladiateur est tombé sur le sable de l'arène. Il est pris dans le filet plombé du rétiaire. La foule dressée sur les gradins du cirque crie à la mort. Tous les visages sont tournés vers César. La main lourde de bagues se lève. Le silence, immense, s'établit. Si César choisit de tourner le pouce vers le sol, qui en définitive aura tué le gladiateur: la brute au glaive déjà levé? La multitude qui veut du sang? Ou César, seul, sur le devant de sa loge?
Je recevais des lettres, toujours anonymes, dont les auteurs souhaitaient en conclusion de leur philippique contre les défenseurs d'assassins, que ma femme et mes enfants soient égorgés sous mes yeux pour voir si je jouerais encore les bons apôtres
Un livre fondamental qu'il faut connaître et apprécier, surtout en ces temps où les valeurs de la République sont parfois remises en question.
Robert Badinter y argumente, en tant qu'avocat, les différentes affaires qu'il a eues à traiter pour lesquelles la culpabilité de la personne jugée n'est pas irréfutable. Il y évoque aussi des cas de jurisprudence et expose ses convictions, en tant qu'homme de justice, mais aussi que citoyen, sur la nécessité d'abollir la peine de mort.
C'est dans son pamphlet intitulé L'abolition que cette position atteindra toute sa dimension.
La haine d'ailleurs rend toujours au pire criminel une dignité inattendue. On oublie le coupable pour ne plus voir que l'être traqué, le misérable.
Tous les avocats n'ont pas la chance de Malesherbes, guillotiné pour avoir trop bien défendu son roi. L'heureux avocat !