Parfois on tombe

Un sentiment de mission menée à bien m'envahit. j'ai réussi à le rendre presque heureux. Et je contemple mon oeuvre avec la satisfaction du devoir accompli et la joie, surtout, de voir cet être perdu rendu à la vie.

— Sarah, la graine doit accepter de tomber et de s'enfoncer si elle veut un jour espérer donner naissance à un arbre.

Je vais aller recoller des morceaux, des petits bouts de moi.

La vie, soudain me saute aux yeux, la formidable nécessité de vivre, qui balaie tout et qui reste, quoi qu'on en dise, toujours la plus forte.

« Je ferme les yeux. Les rouvre sur une évidence. Ma liberté. C'est moi qui la prends. Je n'en reviens pas de ce que je m'apprête à faire. J'attrape mon sac. Je ne réfléchis pas. Je suis portée par quelque chose de plus grand. Je sors de la classe, dévale les escaliers quatre à quatre, traverse l'école comme une dératée. Je ne pense à rien d'autre qu'à la porte qui se rapproche, elle qui me sépare de l'autre monde, le mien, le leur, le nôtre. Soudain, la voilà grande ouverte, la porte, l'air me happe, aspirateur, je cours encore, vite, plus vite, le plus vite possible. Je ne sais pas combien de temps ça dure. Liberté. Liberté. Liberté. »

La graine doit accepter de tomber et de s'enfoncer si elle veut un jour espérer donner naissance à un arbre

« Me voilà dehors. Sans but. Il est encore tôt mais quelques personnes s'affairent déjà vers une vie qu'ils oublient de vivre. Comme moi avant eux. Eux aussi vont mourir. Et ils vivent comme s'ils ne le savaient pas. »

Parfois on tombe. Et puis on se relève, un peu plus fort. C'est ça, la morale.

Ce qu'on cherche est souvent beaucoup plus près de nous que ce qu'on croit. Il dit que, quand on met tout dans la balance, l confort et tout le reste, l'exil est toujours une déchirure, une plaie qu'on pommade comme on peut, que même si on n'est pas trop mal dans le lieu dans lequel on a choisi de s'établir, il y a une partie de nous qui n'est jamais du voyage et qu'on laisse derrière, quoi qu'on fasse. Il dit qu'il a choisi, qu'il a vu, qu'il en est revenu. Il dit qu'on aura beau faire le tour du monde une ou cinquante fois, celui-ci sera toujours rond et la face cachée de la lune toujours cachée. Il dit que le comble , c'est que pour réaliser tout ça, réaliser tout l'amour qu'on porte à sa propre terre, il faut la quitter, sa terre, souffrir de son manque et avoir peur de mourir sans la revoir, parce que sinon, il dit, on ne peut pas s'en rendre compte vraiment.

Gris. Plomb. Glace. Je suis là, seule au milieu d'une rue que je ne reconnais plus. Immobile, Le coeur en vrac. Je les observe, tous, tandis qu'ils passent à ma hauteur. Vite. Très vite. Quelque chose s'est brisé. Impression d'être ailleurs, de ne plus être une des leurs. Eux en couleurs et moi en noir et blanc. Ou le contraire. Le ciel, de toute façon, vient de me tomber sur la tête, là, comme ça, l'air de rien, dans la rue Mouffetard, en plein après-midi. Je sais maintenant que mon appartement est vide, que personne ne m'y attend, que je vais être seule. Je réalise à l'instant même que cette fois ça y est, c'est pour de bon, tout est fini. Que je ne pourrai rien y faire. Plus de mari, plus d'enfant, plus d'amour, plus de vie, plus rien. Moi, moi et moi seule, mon envie de crever sur le dos et ma voisine qui marche en talons au-dessus de ma tête