Citations sur Une bonne intention (74)
Quand elle sourit, Magali, elle attrape tout le soleil.
Les jours passent, le printemps renaît, la vie revient à la vie. Le soleil éclabousse les corps, les visages, les carrosseries et les plaques de goudron, les oiseaux pépient dans les branches. Pendant que la nature explose, l’enfant guette l’homme devant le bureau de poste et l’homme guette l’enfant. Leur rencontre, ils l’appellent et la redoutent simultanément.
Sa femme est morte. Elle est décédée. C’est terminé. Ta femme est morte. Elle est décédée. C’est terminé. Ma femme est morte, décédée, tout est terminé.
Il parle lentement, choisit chaque mot qu'il prononce. Il sait, sa longue expérience le lui a appris, à quel point la diction a son importance dans l'acceptation des tragédies par les proches. Toutefois, l'exercice est toujours difficile, il ne se blindera jamais vraiment contre la douleur qui transpire de ces hommes et de ces femmes lorsque la sentence tombe.
(p. 83-84)
C'est bien simple, depuis la mort de Karine, la chambre conjugale n'a pas bougé d'un iota, tout y est resté en l'état, jusqu'aux draps. Nicolas n'y dort plus, il ne touche à rien, il respecte la tombe. Où trouver les mots pour le ramener à la raison ? Ces paroles qui sauront apaiser sans condamner, inviter sans sommer, convaincre sans accuser ? Mathilde, cette chère enfant, est en danger, en danger de rater son enfance, elle doit apprendre à vivre sans sa mère. Il y a un temps pour la douleur, mais là c'est trop long, elle suinte par tous les pores de cette foutue baraque, ça devient intenable. Les vivants doivent survivre à l'absence.
(p. 23-24)
[Elle] parle de sa mère, du temps béni où elle était là pour la border le soir, où elle la couvait d'une tendresse gigantesque, où rien ni personne ne pouvait altérer l'amour, la protection et la fierté d'une maman pour son enfant. Puis, le changement soudain de paradigme, la complicité qui s'effrite, les silences interminables, le temps qui ne file plus, la façon qu'avait sa mère de refuser la nourriture qu'elle préparait sans entrain, la distance qui se mue en fossé, en abîme, avec les choses, avec les gens.
(p. 237-238)
[...] elle dit que ta place est à l'hôpital, que tu devrais pas être avec nous, elle dit que ça me fait du mal de te voir comme ça, c'est n'importe quoi : si elle croit que ça me ferait moins mal de pas te voir du tout !
Coincé entre les deux, posé dans la ligne de mire tel un cheveu sur une soupe immangeable, [il] détourne la tête et monte dans sa chambre. Il n'aura pas eu un geste, lâcheté ordinaire de celui qui préfère s'en remettre aux circonstances, au hasard et aux coïncidences. Partisan de la langue tournée sept fois dans la bouche, adepte du silence d'or et fervent militant de l'indifférence comme plus grand des mépris, il s'interdit de réagir au quart de tour - ni même au demi. Lui qui voulait des réponses, [sa femme] l'a mis face à sa propre démission, il aurait dû réagir avant, c'est certain. Il est bien avancé. Mais comment se rattraper ? Il monte les escaliers en maudissant sa haine des conflits, lui qui vient encore de se dérober.
Il ne devrait pas, c'est mal, lui l'employé de poste qui trie les courriers, elle [...] qui les écrit, il y a une barrière qui ne se franchit pas, une sorte de serment d'Hippocrate des postiers, rester à distance, accepter que les mots transitent.
(p. 167-168)
L'hôpital Saint-Vincent est immense. Réputé pour son service de pointe en cardiologie, l'établissement fait la fierté de la Communauté de communes qui voit dans les visiteurs une manne de clients potentiels pour les hôtels et les brasseries alentour. Les patients venant souvent de très loin, leurs proches sont dorlotés, invités à rester le week-end entier. Certains ont suggéré qu'on ouvre un Office du tourisme dans les locaux de l'hôpital. Finalement, on n'a pas osé, arguant que la proximité des quatre boutiques de pompes funèbres était déjà bien assez cynique, inutile d'en rajouter.
(p. 72)