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Critique de Guiall


Celui qui disait oui à l'amour et à la vie !

Dès les premières pages, ce livre vous emporte. Difficile de s'en défaire ! Et même difficile de ne pas y revenir quand on a « fini » de le lire car a-t-on jamais terminé de lire un tel livre ? Il vous reprend par le coeur et par l'intelligence à peine refermé.
Il commence comme un dialogue : « Avant d'arriver sur ce port, il t'était arrivé quelques bricoles August. Et d'abord la bricole de ta vie, la seule qui vaille la peine de naître : la bricole du grand amour ». Comme dans La modification (Butor) où il était pris au piège du « vous » le lecteur se sent interpellé par ce « tu » qui le prend par la main. Mais il n'est pas August et il va donc faire connaissance avec le personnage devenu comme un intime de l'auteure, et donc un peu de lui-même, semblable et frère de celle-ci.

Ah August ! August Landmesser qui, pourtant alors encore membre, passif, du parti nazi, ne lève pas le bras pour saluer Hitler le 13 juin 1936 dans le port de Hambourg. Et il est seul à oser cela ostensiblement au milieu d'une foule de bras levés quand, lui, il les croise. Il ose cela comme il a osé l'amour interdit avec une juive et c'est au nom de cet amour qu'il dit non ce jour-là car il dit oui à la vie. C'est au nom de la belle Irma qu'il se rebelle. Cela le lendemain même de son anniversaire comme pour lui offrir un nouveau présent : celui de sa vraie présence au monde. Et ce « non » apparaît, dans son insolence énorme, dans cette détermination sans faille, avec la photo prise le jour-même et qui sert de couverture au livre. Et ce « non » historique rejoint en symbole le « non » mythique de la petite Antigone revisitée par Anouilh.

Oui, il était arrivé à August quelques bricoles, « rien de très important aux yeux de la grande Histoire, mais c'est dans la petite que se nichent les vraies raisons de vivre et de mourir, de résister ou de céder, de saluer Hitler/ ou de ne pas ».

Et la petite et sublime histoire d'August rencontre aussi l'histoire de l'auteure. L'histoire d'un père tant aimé, décédé quelques temps avant l'écriture du livre. Adeline écrit aussi ce livre pour son père, pour cet autre « tu » : « Je crois que j'écris aussi pour te crier que je t'aime et n'ai jamais su te le dire assez ». L'histoire d'amour d'August et d'Irma semble même rencontrer d'une certaine façon l'histoire d'amour de Michel et Elahé (un goy et une juive là aussi), les parents d'Adeline à qui elle dédie le livre. C'est cet entrelacement de l'histoire de l'auteure « qui écoute aux portes du temps », de la grande Histoire et enfin de l'histoire d'August et d'Irma qui fait peut-être aussi la force du livre et sa puissance d'émotion et de lucidité.

August et Irma c'est d'abord comme une évidence dès leur rencontre sous un saule pleureur au jardin botanique de Hambourg à l'automne 34. Elle est juive et brune, elle vient lire régulièrement sous ce saule ami. le blond August est encore inscrit au parti nazi et il vient simplement faire sa sieste. Oui, c'est comme une évidence éluardienne : « tu es venue/ c'est à partir de toi que j'ai dit oui au monde » (Paul Eluard). Mais une évidence qui n'a rien d'une évidence en ce temps-là et qui va très vite défier la grande Histoire et sa terrible violence jusqu'à la mort des deux amants, jusqu'à la souffrance de ces deux fillettes, Ingrid et Irene, qu'ils ont conçues, jusqu'au martyre même de la seconde, qui, véritable miraculée, consignera elle-même l'histoire de ses parents à partir de documents.

Car oui, il faut bien insister, presque naïvement : l'histoire est vraie, authentique et tout le génie de la romancière est de lui donner chair et vie en comblant les vides de l'espèce de document élaboré par Irene, pour retrouver l'intimité des deux principaux personnages et approfondir encore la vérité. Il y a des faits qui sont consignés dans des articles, dans des jugements, dans des rapports médicaux cités souvent en début de chapitre (et pour tout cela Adeline a enquêté aussi et elle est allée sur les lieux) et il y a les interstices comme la rencontre, les étreintes amoureuses et les remords du candide August qui sont comblés par la tendre mais juste imagination d'Adeline Baldacchino : « La vérité de la fiction supporte les petits arrangements nés de la grande tendresse. ». « C'est ainsi que je connais leur rencontre. L'arbre me l'a racontée quand je l'ai serré dans mes bras, par un jour de printemps au jardin Planten und blomen. ». Si l'histoire est vraie, le roman nous semble encore plus vrai dans cette sublime tendresse portée par l'auteure ainsi que dans cette mise en perspective de leur amour par rapport aux événements de cette époque.

En vertu (si l'on peut dire) des lois sur la « souillure de la race » qui interdit l'union entre un(e) juif(ve) et un(e) aryen(nne) et du fait de l'excès de zèle d'un fonctionnaire nazi, les deux amants n'auront pas même le droit de se marier avant la mort. Ils ne seront déclarés mari et femme que le 16 juillet 1951, bien des années après leur mort.

Cette histoire d'amour impossible a aussi le mérite de nous faire pénétrer au plus profond de la morbide mécanique nazie, de la folie nazie (quand d'autres folies adviennent dans la même rhétorique du rejet de l'autre), en mettant dans la pleine lumière des personnages des lois et événements marquants (ainsi Irene est martyrisée pendant la nuit de cristal). Tout à la fois un roman d'amour et un roman historique basé encore une fois sur des faits réels, ce livre me semble être encore plus efficace dans la dénonciation de l'ignoble. Il nous montre aussi et surtout (Adeline y revient plusieurs fois…) comment quand on veut l'ignorer on se fait rattraper par le politique et c'est peut-être là le grand problème d'August en dépit de son « non ».

Enfin j'oserai dire qu'Il y a là quelque chose qui rappelle les grands amants et jusqu'aux amants de Vérone qu'ils rejoignent non dans la légende mais dans l'Histoire. On évoquera longtemps ainsi Irma et August qui osèrent l'amour face à l'ignoble. L'amour, profondément rebelle, comme un exemple incomparable! L'ignoble comme ce qui met à mort l'amour même.

C'est un livre de résistance. C'est un livre de saine vigilance. Un livre qui ouvre les yeux, le coeur et l'intelligence.
Un vrai livre, tendu tout à la fois par une écriture exigeante et une sensibilité rare, qui fait pâlir définitivement l'encre de nombre de romans inutiles.

Celui qui disait non, Adeline Baldacchino, éditions Fayard, 18 €



Guy Allix
Lien : http://guyallixpoesie.canalb..
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