Citations sur Le roman de l'énergie nationale, tome 1 : Les Déracinés (45)
Un homme n'est jamais que le spectateur de son talent et ne peut se prévoir.
De ce dîner par un beau soir profond sous les arbres des Champs-Élysées, Sturel emporta le pressentiment que jusqu’alors il avait vécu dans une convention dans l’ignorance des choses. C’est un thème banal, l’opposition qu’il y a entre la vie, telle qu’on se l’imagine, et sa réalité, mais cette banalité soudain pour Sturel devint douloureusement vivante et agissante. Elle infecta toutes les opinions qu’il s’était composé des hommes et des choses. Chaque jour de cette semaine, il fut plus déniaisé, mais plus sombre. Il apprit que si toutes les convictions ne sont pas déterminées par l’argent, presque toutes du moins en rapportent, ce qui atténua leur beauté à ses yeux. Il constata que si certains hommes prenant certaines attitudes sans subvention, certains autres sont subventionnés pour les prendre, et qu’ainsi le plus désintéressé, toujours suspect aux malveillants, n’a même pas la pleine satisfaction de se savoir en dehors des combinaisons pécuniaires : sans en profiter, il les sert.
De ce milieu par sa force tranquille, il a banni le ton plaisantin, il a libéré les vrais sentiments jusqu'alors intimidés de chacun. Maintenant de leur accord ils croient tirer une plus-value générale.
La religion. — Si l’on veut, nous possédons la catholique, la protestante et la juive ; mais, à voir de plus haut, la France est divisée entre deux religions qui se contredisent violemment, et chacune impose à ses adeptes de ruiner l’autre. L’ancienne est fondée sur la révélation ; la nouvelle s’accorde avec la méthode scientifique et nous promet par elle, sous le nom de progrès nécessaire et indéfini, cet avenir de paix et d’amour dont tous les prophètes ont l’esprit halluciné.
Racadot et Mouchefrin emploient toute leur énergie à pouvoir continuer leurs études et s’aigrissent de ne pouvoir, malgré les privations qu’ils s’imposent, s’ajouter à ces aventureux solliciteurs de fonctions inexistantes. Ils s’obstinent à poursuivre des diplômes qui ne leur serviraient de rien. Ils collaborent à la création d’un élément social nouveau. C’est une classe particulière qui sous nos yeux, en ces années 1882-1883, se constitue : un prolétariat de bacheliers.
Il quitta la manière de ces jeunes gens qui jamais n'oubliaient de situer dans l'universel l'objet dont ils traitaient, et qui par là évitaient bien des exagérations : il accepta le préjugé ordinaire qui est de considérer la beauté dont on parle comme la plus belle beauté, et l'infamie comme la plus infâme infamie. C'est par ces fautes contre le goût - précisons : contre l'ordre général - qu'on entre dans la vie commune , qu'on descend de son isolement pour s'assimiler les lieux communs puissants, et sonores, toujours agréables au plus grand nombre.
La colère simplifie nos rapports avec les êtres qui nous l'inspirent.
Nos vaines prétentions sont une des parties les plus réelles de notre être.
Il y a une distance immense entre les probabilités les plus pressantes et le fait accompli. Le "ça y est" que nous murmurons en face d'une réalité décisive étrangle des milliers d'espérances qui, durant les pires crises et contre tout bon sens, se blottissent dans quelque coin de notre âme.
On ne détruit réellement que ce qu'on ne comprend pas.