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Citations sur La Funambule (10)

Ça commence par un malaise. Atroce. Qui n’offre aucune solution, aucun appel.

La raison fait parfois vaciller, un bref instant. Hésitation qui peut nous sauver. Mais lorsque l’idée s’installe, rien ne nous apaisera si ce n’est sa concrétisation. Si vous laissez l’envie monter, il vous faudra aller jusqu’au bout.

Il y a plusieurs outils, naturellement. Des morceaux de verre, soigneusement rangés dans une petite boîte, un couteau de cuisine, une lame de rasoir. Force est de reconnaître que certains rasoirs jetables ne sont pas terribles. Il faut se faire très mal pour un résultat lamentable : coupures peu profondes, rare sang qui coule. Les couteaux de cuisine offrent la même issue, à moins de tenter les lames en céramique qui risquent de vous envoyer tout droit au bloc – or nous ne parlons pas ici de suicide mais d’automutilation (il faut suivre, enfin !) Les bouts de verre, sauf si les éclats sont fins et aiguisés, s’avèrent tout aussi décevants. Avec le risque qu’un morceau de verre s’infiltre sous votre peau et nage dans vos artères jusqu’aux organes vitaux (nous sommes tous en proie à nos légendes urbaines). Pour ma part, j’ai une petite prédilection pour les rasoirs – il suffit de prendre de la bonne qualité (pas trop non plus, pour qu’ils ne soient pas imbibés de produits tout doux) et de bien s’en servir.

D’abord, il y a la peau qui part, comme si on t’épluchait. Des pelures blanches qui se détachent doucement. Et si on continue plus profondément, avant que le sang ne coule – le sang vient après, invariablement, et les marques sont toujours plus violentes que ce qu’on pensait s’infliger – il y a l’eau qui suinte par les blessures nettes et fraîches. C’est la première étape, signe que la cicatrisation sera douloureuse.

À travers la main qui tient le rasoir, toutes les autres qui ne se sont pas tendues vers toi, celles aux poings fermés, les gifles, les gestes d’au-revoir. Ce n’est pas toi, ce sont eux, ce sont eux qui entaillent ton être, le sang coule enfin des blessures qu’ils t’ont causées. Tu n’étais pas folle : tu es bel et bien ensanglantée ! Tu le savais, ce sont eux, voilà ce qu’ils ont fait de toi. Tu serres les dents et appuies sur le rasoir. Le sang ne vient toujours pas. Allez ! La colère, la rage, la peur, le désespoir. Tu te crispes et tu appuies, tu donnes des petits coups tranchants, sans t’arrêter. Et puis après quelques secondes de pause, tout se macule de rouge et de douleur. C’est le moment où la honte advient. Il faudra cacher cela le temps que ça cicatrise. Tu y penseras à chaque manche qui frotte, chaque douche, chaque geste esquissé. La douleur et la honte.

Mais à l’heure qu’il est, tu es apaisée.
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En marge, je vis avec cette constante peur de déranger, d'ennuyer, de gêner, d'être en trop. Petite, je rêvais du jour où je serais adulte - sans même prendre conscience qu'il me faudrait d'abord le devenir - croyant que les grands détenaient un savoir. Je me suis tant et tant cherché des modèles, d'un bout à l'autre de l'enfance, sans jamais trouver qui suivre, à qui m'identifier. J'ai tenté en vain d'en inventer : ils me ressemblaient chaque fois bien trop. Alors, puisque le monde entier était figé, que j'avais la sensation d'avancer dans des sables mouvants, il a bien fallu continuer à faire semblant.

L'expérience du Vide comme l'eau qui ronge. Lente érosion intérieure le long de mon errance. J'habite mon corps comme on se tient dans une embarcation à la dérive.

Quand tout devient épreuve, que reste-t-il d'autre que l'écriture? Pour dire le décalage entre le monde et soi. Puisque les objets du monde réel ne nous concernent pas, puisqu'aucune discussion ne fut jamais intéressante. Pour m'échapper, je restais vague, toujours. Rien ne m'a jamais réellement concernée.

Je ne croise plus les regards, ne me tiens jamais droite : mon corps cherche à se soustraire. Et cette terrible angoisse que ce que je ressente représente un danger tangible, que mes émotions soient une arme de destruction.

L'avenir est-il envisageable dans cette existence désincarnée?
La temporalité est rompue, la réalité éclatée.
Je suis en incapacité d'élaborer ma propre histoire.
Illusion d'identité.
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Lucas est revenu bien sûr. Pour illustrer les dictons idiots du quotidien, qui à l’époque, ne fleurissaient pas encore sur Facebook pour la bonne raison que ce réseau social n’existait pas. Des dictons qui déclament, par exemple : « Tout arrive quand on arrête de s’y attendre ». Ou mieux, faisons-nous plaisir : « Ses quant tu te met à vivre à nouvo que ton passé te ratrape. Suis-moi je te fuis, fuis-moi j’te suis, mais ses trop tard il fallais y pensé avant que j’était irremplassable. »

J’étais guérie. Je ne pensais plus à toi en me levant, j’avais supprimé les chansons, ou du moins, j’avais cessé d’avoir mal en les écoutant. J’allais mieux, vraiment.
À croire que tu attendais que je me relève pour me frapper. Pour revenir et tenter de me séduire à nouveau. Pour me dire ce que j’attendais depuis des mois. Pour me balancer tes odieuses phrases pour lesquelles je me serais damnée autrefois.

J’aurais, avec joie, sacrifié ma vie pour toi. Je t’aimais plus que moi-même, bien plus. Je t’aimais jusqu’à la folie, mon Amour.
Mais on sait bien que tout ce qu’on attend vient toujours trop tard : c’est vrai, merci Facebook.

À l’heure actuelle, tu n’existes plus. Tu n’es plus rien qu’un souvenir, un être déformé par mes projections et mes frustrations, un homme à jamais figé dans le passé, un monstre aux yeux durs, symbole de l’oubli.
Car c’est en t’oubliant que j’ai appris à croire en la guérison, comme le drogué croit parfois aux cures de désintoxication, en s’injectant une dose.
Malgré cela et tout ce qui nous sépare, malgré ta distance et les années, tu ne seras jamais un étranger.

Je voudrais revivre les vrais instants sans m’étonner, sans ce manque sous-jacent. Retrouver ce si rare sentiment de plénitude. Honorer chaque instant sans mentir ni trahir. Même si jamais rien ne s’efface, à l’intérieur, les moments de joies, les jours de cris.

Puisqu’aujourd’hui je peux en parler, puisqu’aujourd’hui je peux m’adresser à toi sans n’avoir rien d’autre à raconter de nous que cette douleur que tu m’as infligée, c’est que le temps finit par nous guérir. C’est que notre histoire était d’une terrible banalité, de même que ma souffrance : un premier chagrin d’amour, pathétique, comme on en vit tous.

Aujourd’hui, je consigne ce chapitre de geignements adolescents entre deux morceaux de vie, comme une boîte à souvenirs un instant ouverte. J’ai beau chercher dans les moindres recoins de ma mémoire, le temps a passé comme de l’eau et a poli ton image, si lisse. J’essaye pourtant d’être fidèle ce que je fus, à ce qui m’a construite, à ce pitoyable style avec lequel je m’exprimais alors et qui ne m’a jamais réellement quittée.
Tu auras été mon premier scalpel amoureux, ça valait bien d’y revenir un peu.
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Quelle est la limite ? Celle à partir de laquelle les gens seront là et te tendront la main ?

Ils ont tout fait pour rendre mon geste banal, pour en faire un « non-événement », anodin et sans conséquence. En effet, il n’y a pas eu de séquelles physiques dignes d’être relatées à la rubrique « faits divers » puisque j’allais bien : « plus de peur que de mal ». Je n’avais pas frôlé la mort, non. La mort, ça ne se frôle pas. On meurt ou on ne meurt pas. Il n’y a pas d’entre deux. Je n’avais pas approché la mort, ou à la rigueur, dans l’idée. Or une idée, ça ne compte pas.

À vrai dire, c’est un épisode qui tient en peu de mots. Il est pris dans le flux des événements. Il tient en deux lettres. Pour en faire quelque chose de lisse, de simple, d’entendu. Un froid diagnostic.
Ils ont appelé ça TS.
Parle-t-on de S quand la TS ne se solde pas par un échec ? Car le T cristallise la pire des abominations : l’infructueux essai d’un (e) dégonflé (e) pour attirer l’attention par des moyens honteux et lâches.

T.S. C’est si court, deux lettres.
De rares personnes m’ont demandé pourquoi. Pourquoi ? As-tu dix années devant toi pour que je te raconte ? Qu’en sais-je, pourquoi ? Davantage ont voulu savoir comment. C’est plus intéressant.

Il y a eu si peu de personnes au courant. Du moins à ce que je sache.
Beaucoup rapportent la gravité du geste à l’état de santé. Comme si l’envie de mourir se mesurait par degré d’intensité. Combien de jours à l’hôpital ? Combien de points de suture ? Lui ont-ils fait un lavage d’estomac ? A-t-elle été internée avec les dingues, les fous, les rincés du cerveau ? Si on n’est pas suivi, c’est que ce n’était pas si grave, n’est-ce pas ?

Une TS, somme tout, c’est la somme des moyens mis en œuvre pour maintenir quelqu’un en vie alors qu’il a convoqué la mort.
Coma : +10
Cicatrice indélébile : +8
Hémorragie avec risque d’infection grave : +6 Peut rapporter davantage si une transfusion s’avère nécessaire.
Traitement médicamenteux sur une période indéterminée : +5

Une TS, ce n’est certainement pas la volonté d’en terminer. On mesure le degré de courage du passage à l’acte pour juger du désespoir de la personne. Pas foutu de tomber dans les vapes ou d’atteindre l’artère ? Pourquoi perd-on du temps à discuter ? Non seulement cette enfant gâtée et égoïste est malheureuse pour rien, mais en plus, elle n’a pas le cran de ne pas se louper ?
Quand on veut mourir, ce n’est pas si compliqué. On se pend, on saute du 7ème étage, on ouvre le gaz. Parce que c’est bien connu : les suicidaires ne sont pas des humains, ce sont des suicidaires. Ils ne connaissent ni la peur de la douleur, ni celle de faire du mal. Leur conscience s’efface entièrement devant leur désir de mort.
Ceux qui veulent la mort sans s’en donner les moyens sont des imposteurs.
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Jérémy m’avait appelée, en pleurs, parce que Maëlle l’avait largué sans une explication. Il ne comprenait pas, il l’aimait tant, elle était tout pour lui ; tu comprends Alex, je ne pourrai pas continuer sans elle, je ne pourrai pas.

Je l’écoutais, allais le retrouver ; nous buvions des verres et parlions d’autre chose jusqu’à ce qu’il déborde et explique à quel point elle était géniale. Il était tout à tour en colère, amoureux ou furieux.

Je ne lui disais pas qu’elle l’avait trompée des dizaines de fois qu’elle m’avait décrites dans les moindres détails, qu’elle l’avait simplement gardé sous le coude en attendant mieux, qu’elle ne l’aimait plus depuis des mois déjà. Je ne le lui disais pas car Maëlle avait été mon amie. Je ne le lui disais pas parce que ça ne me regardait pas. Je ne sais plus pourquoi je ne le lui disais pas.

Il a fini par aller mieux, de bistrot en bistrot, de rencontres en voyages. Il revenait toujours les yeux pleins de lumière, des tas d’aventures à raconter : il développait longuement ses photos intérieures, devant une bière ou un chocolat chaud, les après-midi fatigués.

Son appartement concentrait des gens de tous horizons, qu’il avait connus au fil de ses pérégrinations. Souvent, je me demandais pourquoi j’étais là, avec eux, avec lui, et je me souvenais que la douleur tisse des liens sans nom. J’avais été là à une période difficile, j’avais répondu, étonnée, chaque fois que son nom s’était affiché sur mon téléphone et j’avais choisi de ne pas trahir, ni elle ni lui, de ne pas trancher, de simplement faire ce qui me semblait juste. Ça suffisait pour que je me trouve sur son canapé, entourée de rires et de vin, de récits de voyage et de promesses d’avenir, ça suffisait pour qu’il m’entraîne dans les recoins de la capitale qu’il connaissait si bien à force de se perdre dedans.

Sa force, sa curiosité naturelle, ses élans, son humanité. Il reste un Ami silencieux, au grand cœur, un sourire dans le brouillard, que j’oublie parfois mais qui me revient toujours, en pleine âme.
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On ne peut pas toujours se noyer dans un verre d’alcool. J’avance sur le fil, celui du rasoir. J’aurai toujours peur du point de non-retour.

Pour ne pas hurler, j’écris jusqu’au tournis et j’accepte. De me dépeindre tantôt bonne, tantôt mauvaise, obscure, lâche, en proie à mon inhumanité, mais transcendant aussi tous les possibles que j’avais imaginés. Qui peut prétendre toujours dire la vérité ? Écrire c’est choisir et donc c’est tricher. J’accepte d’effacer des mots, des pages et des idées, et finalement j’accepte de tuer des milliers de personnages qui auraient pu exister à mes côtés. Selon les traits qu’on leur confère, selon ce qu’on choisit de pointer, nos héros naissent, changent ou bien meurent, jusqu’à ce qu’on décide de les figer. J’accepte que le roman prenne parfois des reflets de réalité, à la manière de la lumière que viennent colorer les feuilles de gélatine que l’on colle sur les néons ; échos d’encre à des scènes traversées un jour, une nuit, il était une fois. J’accepte d’épuiser mes pâles souvenirs jusqu’à ne plus les reconnaître pour laisser émerger la fiction.

L’écriture a cette faculté de déformer le réel jusqu’à ce que la création advienne, jusqu’au surgissement du fictif. À la relecture des années, les quelques anecdotes réminiscentes dont je me suis inspirée pour insuffler l’épaisseur de la chair à moi-même, poudreuse héroïne, sont connectées à des personnes, des époques, des teintes impossibles à retraduire ici fidèlement, sous peine de devoir dire tout le reste. Pour brosser le tableau de quelqu’un – et même le sien – il faut être exhaustif, depuis ses trajets sous la pluie jusqu’au rire de son frère. Il faudrait croquer chacune de ses secondes et la totalité de son environnement. Comme ce n’est pas possible, il faut choisir. Et créer autre chose. Et déformer quelquefois des souvenirs élimés pour qu’une authenticité éclose.

Jusqu’à parfois se demander, inquiète, si c’est de l’art ou du cochon.

Le temps d’apprendre à survivre. Le temps d’apprendre à écrire. Le temps d’apprendre à y croire.
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Il y a les faits, ce qu’ils ont fait de toi et ce contre quoi tu as lutté, tellement fort, jusqu’à l’oubli. As-tu occulté l’inacceptable, le transformant en événement jamais advenu ? La mémoire réalise-t-elle ce genre d’exploit ? Quand ce que tu rejettes n’existe pas. La Vérité est-elle celle du passé factuel ou celle de la lutte ? Qui sommes-nous ? Cet entrelacs de nœuds tendus, entre histoire et fiction, reconstruction narrative et oubli.

Les larmes sont coincées, tu voudrais hurler et rien n’advient, tu voudrais crier mais rien ne sort, tu as l’inquiétant sentiment que tu ne cours pas après des chimères, quelque chose se tapit dans l’ombre, l’inquiétant sentiment que ces barrières-là qui empêchent la douleur de s’installer dans chaque atome de ton corps existent aussi autour de ta Mémoire. Est-ce que ça sortira un jour ? Faut-il que cela sorte un jour ? On ne se protège pas de soi-même en vain. On ne se cache pas des ombres éternellement. Les ombres peuvent-elles être si obscures qu’elles te grignoteront entièrement ? Alors que tu pensais être armée. Alors que tu croyais pouvoir tout recevoir. Regarder la vérité en face, comme le soleil, sans te brûler. Tu es un enfant de la lune.

Ce qui fait peur à l’Homme, c’est ce qui se trame dans l’obscurité, ce qui est caché dans la pénombre, dissimulé derrière les rideaux, sous le lit. Cette immense métaphore, il la déploie depuis sa plus tendre enfance et la craint encore certains soirs de solitude ou au contraire, de complicité partagée dans l’intimité d’une chambre obscure ou d’une maison qui craque, pour ne pas s’avouer que sa plus grande crainte réside en lui : c’est ce qu’il se cache à lui-même, ce qu’il a caché au fond de son être.
Depuis la Nuit des Temps.
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Manu, qui ressemble à une momie, nous a invitées, Sam et moi, dans la maison de son grand-père absent. J’ai avalé un para de MD et d’autres trucs chelous. J’me sens bien. Sam a disparu. Je suis en grande conversation avec un mec dont j’ai oublié le prénom, à moins que je ne l’aie jamais connu.

- Et là j’étais avec une nana, excitée comme une pute, et…
- Une quoi ?
- Une puce.
- Ah ok. Remarque, l’expression était adéquate, ça avait l’air chaud entre elle et toi.
- Qui a des couettes ?
-…
- Nan, elle avait les cheveux lâchés, je préfère.

J’ai répondu « oui » et me suis effacée en essayant de glisser à reculons le long du mur jusqu’à atteindre la porte et m’échapper, sans le quitter du regard. Je pense avoir mis 10 bonnes minutes à y arriver, le fixant des yeux, consciente sans l’être qu’il s’était immédiatement désintéressé de moi depuis que j’avais cessé de lui répondre. Ma détermination à mener à bien ma mission sauvetage de moi-même aurait pu me mettre la puce péripatéticienne à l’oreille quant au degré de ma propre foncedée, mais j’étais bien trop occupée à fuir ce junky du diable. Il était possédé, le mec. Laisse-moi tranquille, chien de la casse ! Ce n’était pas pour rien qu’on m’avait nommée responsable des opérations. J’avais le flair. Et la manière. S’il bougeait, il faudrait courir. En attendant, je pouvais slider vers la porte tout en observant son visage changer. Ses cernes se creusaient, il semblait absorbé dans l’observation d’un papier à terre, sa peau devenait terne, si terne… Citerne d’essence ! Il était mort ? Nan ça va, je voyais sa poitrine se soulever quand il respirait. Ces drogués, décidément, tous des cadavres ! Il ne fallait pas qu’il me voie. Je ne devais pas faire de bruit. Si je le voyais si laid, mon image serait la même dans ses yeux. Ne pas me montrer dans cet état ! Sale, si sale. Si laide. La drogue pourrit les gens. Je suis sûre que je suis jaune, avec les dents marron, en train de me putréfier. Putréfier, quel
horrible verbe ! Plus jamais ça. Voilà, plus jamais ça. Tiens, je suis foncedée. C’est fou la drogue. C’est bien quand même. Ça met dans des états étranges. Est-ce que je me sens bien ? Je ne sais pas. Pas mal en tout cas. Est-ce que je bade ? Non, ce n’est pas ça. Et si je sondais mon inconscient, tiens. Qu’est-ce qui me rend si malheureuse. Un traumatisme d’enfance ? Nan, c’est ce que tu veux te faire croire, ça. À chaque fois tu penses à ça, tu crois vraiment que tu refoules à ce point ? Mais en même temps, pourquoi tu penses chaque fois à ça quand t’essayes de piéger tes défenses ? Est-ce que ma défense ne serait pas justement de penser à ça au lieu de penser à ce qui me rend réellement malheureuse ? Vas-y, mon inconscient, sois sympa, dis-moi la vérité. Si je ressens quelque chose sous l’emprise de la drogue, c’est que ce sera vrai. Forcément. Je ne peux pas mentir. Il faut que je teste mes sentiments. Mon amour. Mmmh. Tiens, allons aux toilettes. Au radar. Héhé. J’espère que y’a pas de miroir. Oh une glace ! Salut toi ! Tu sais que t’es complètement dead. Oui, tu le sais. Mon Dieu dans quel état je suis. Plus jamais ça ! Jamais jamais. C’est n’importe quoi, cet état. À quoi bon ? Pour quoi faire ? C’est vrai que c’est sympa d’un côté, quand on n’est pas malade. Je ne suis même pas fatiguée. Je peux boire et boire et boire, je ne suis jamais malade. Le mec qu’a trouvé cette drogue est un génie. J’ai même pas peur. On peut aller où vous voulez les amis ! J’suis chaude. Partante pour tout ! Faudra que je leur dise. C’est pas dans mon état normal que ça m’arriverait, une motiv pareille. Moi qui fatigue en moins de deux. Alors que là, j’ai une de ces pêches ! C’est bon ça ! On fait quoi, on danse ? Je l’ai dit à voix haute ou seulement dans ma tête ? Putain, ils ne me répondent pas. J’ai posé la question à voix haute pourtant, je suis sûre. Ils sont dans un autre trip. Je dois trop les saouler. Je suis chiante, je parle trop. À vouloir absolument être en connexion. Ça les fait pas du tout rire mon délire, je suis toute seule dans mon truc. Quelle conne putain. Bien sûr qu’ils se font chier. Je sers à rien, je suis nulle. Est-ce que je nourris des pensées violentes des fois ? Est-ce que j’aimerais tuer des gens ? Genre cette pute d’ex qui tourne autour du mec que je convoite ? Oh oh tu parles bien. Est-ce que j’aimerais lui éclater la tête et l’enterrer vivante en lui crachant dessus ? Arrête, qu’est-ce qui t’arrive, pourquoi tu penses à des trucs comme ça ? C’est pas bien. Oh hé ça va, on ne va pas non plus se censurer. C’est important d’accepter ses pensées. Ça ne sert à rien de se mentir. C’est super d’être transparent à soi. C’est bien quand même la drogue, pour ça. Combien de temps que je suis assise là, moi ? Faudrait peut-être que je bouge. Oui mais pour faire quoi. Un truc frais, par exemple. Ouais faut que je m’hydrate. Il restait des bières quelque part, faudrait que je retrouve la cuisine peut-être. C’est compliqué de parler pourtant les mots sont intacts dans mon cerveau. J’arrive à parler à l’intérieur mais ça sort pas bien. C’est au niveau de la langue que ça doit merder. Comme si j’avais la bouche pâteuse. J’sais pas. Parce qu’à l’intérieur ça va. Putain j’suis sûre qu’ils pensent tous que j’suis qu’une conne. À quoi je joue à faire ça, à me mettre dans ces états. Moi aussi je dois être grise. Jaune. C’est sûr. À quoi bon ? Oh une bière ! Parfait ! Quel kif ! J’étais sûre que je la trouverais là alors que rien ne m’en assurait. En fait j’ai les idées hyperclaires. C’est plutôt positif ça, j’suis en pleine possession de mes moyens. J’adore cette soirée ! Mais quand même Alex, tu le sais : plus jamais, plus jamais ça.
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C’est pénible, ces livres lourds où ça ne va jamais mieux.
Les mots, comme des caillots de sang dans la bouche.
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«Assis-toi sur mes genoux, et imagine que t’es sur une mobylette et qu’il y a des bosses ».
Je regarde le mec qui s’adresse à moi, il a un grand sourire, est plutôt fier de lui, et son pote rigole. Il sort un billet de 10 euros de sa poche, me regarde, le lèche et me dit : « je t’invite à dîner s’tu veux, viens ma belle, et après tu me remercieras comme il se doit ».
À 18h, le métro est blindé, tout le monde entend, personne ne dit rien. Naturellement. Mon problème, si je me fais emmerder par un gros con vulgaire. Manifestement ça ne regarde personne d’autre.

23h et des poussières, après un petit resto entre amis sur Paname, il est temps de réintégrer la banlieue. À Barbès, je termine ma clope devant le métro. Un gars s’approche, me demande si je veux de la drogue. Je n’en veux pas. Un autre s’approche, me demande ce que je fais là, ce que je cherche. « Je ne cherche rien, je termine juste ma clope avant de prendre le métro. » Il s’excite : « Mais qu’est-ce que tu fais toi aussi, à rester là ! T’es pas chez oit, ici. Tu veux te faire violer, c’est ça ? Tu veux te faire violer ? T’as rien à faire ici, vas-y, bouge, bouge. » Un autre mec s’approche, mon interlocuteur lui dit de me laisser tranquille. L’espace d’une seconde, j’ai voulu terminer la clope, réflexe rebelle, mais je l’ai finalement vite écrasée pour pousser les tourniquets.

15h, RER, je suis avec Gabriel. On va aller fêter mes 18 ans. Un jeune homme s’approche de nous et s’adresse à mon mec : " Hé, tu veux pas me louer ta meuf ? 20€ la soirée. Elle suce ? Sodomie ? On est avec des potes ce soir. On va la faire tourner, tranquille." 11h du mat, à Châtelet. Un jeune homme me lance : « Excusez-moi, vous êtes assise sur mon pénis. Vous le sentez ? »

Abribus, 11h, un trentenaire me parle. Je lui réponds poliment. Le bus arrive, je le salue et monte. Les portes se ferment. Soudain, l’homme tape à la porte. Le chauffeur lui ouvre et le gars me crie : « Hé, je pourrais avoir ton numéro ? » Je dis non, il insiste. Tout le monde me regarde. Je redis non, il réinsiste. J’ai l’impression que la scène dure une éternité. Il finit par lâcher l’affaire, le bus part. Je cherche quelques regards complices autour de moi. Je ne trouve que des paires d’yeux sévères, en mouvement, depuis mes talons jusqu’à mon visage en passant par ma robe. Suis-je parano où puis-je réellement lire sur leurs lèvres fermées : « La prochaine fois, salope, essaye de pas nous retarder » ?

20h, un hiver, j’ai 15 ans, j’attends mon grand frère devant l’épicerie, enroulée dans ma grosse doudoune. Un groupe de mecs passe. Un me lâche « sale pute », sans se retourner.

22h, je rentre chez moi. Une voiture s’arrête à mes côtés. « Vous allez où Mademoiselle ? » « Je rentre chez moi ». « Vous ne voulez pas boire un verre avec nous ? » « Non, je suis fatiguée, je vais rentrer chez moi, on m’attend. » « Même pas un petit verre ? » « Non, même pas. » « Vous permettez qu’on vous raccompagne ? » « C’est gentil mais je suis quasiment arrivée, là. » « Ah, vous habitez où ? » « Pas loin. » « Ça te fait pas peur de marcher seule comme ça, la nuit ? Moi à ta place, j’aurais peur, y’a de quoi avoir peur, vraiment… »

Il est possible d’écrire des pages et des pages sur ce même modèle.

Je me demande seulement à quel point nous avons intériorisé cette peur. S’arranger pour ne pas rentrer seules trop souvent, ne pas s’habiller trop court si nous devons prendre les transports, fuir les regards, éviter la solitude, avoir peur…
Je me demande à quel âge je n’ai plus été étonnée lorsque des passants m’ont dit « Bien charmant tout ça », « mmmmh », « sexy », « vraiment très jolie, rien à dire » (- alors ferme ta gueule) « T’as une démarche de miss », parfois en attendant une réponse, parfois sans même s’arrêter.
Je me demande à quel point nous sommes touchées.
Je me demande à partir de quelle limite on peut envoyer son poing dans la gueule. Je me demande surtout si les risques encourus en valent la peine.
Je me demande comment on peut raconter l’histoire d’un être qui se fendille.

« Mais la vraie question, Mademoiselle, me disait un homme dans le train alors que j’avais 19 ans, c’est de savoir qui vous a déviergée. C’est la personne avec qui vous êtes en ce moment ? Hein ? Dites-moi, c’est votre copain actuel ? Ou vous êtes encore vierge ? Hein ? Alors ? »

Je suis heureuse d’enfin connaitre la vraie question.
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