Citations sur Oedipe sur la route (71)
Nous mangions nos moutons plus vite que ne venaient les agneaux.
Le temps du bonheur n'est pas mort, mais il s'atténue. On a senti qu'il pouvait avoir une fin, on sait qu'il en aura une. Il y a encore de la tendresse, une douce spontanéité dans les soins de Calliope. Œdipe sent qu'elle le chérit toujours, il se laisse aimer et chérir par elle, mais ce n'est plus que pour un temps. Il retrouve ses forces et avec elles les obstacles et les murs de la réalité.
"Alors tu penses que, moi aussi, je suis amoureuse de toi, - Ça se voit non ? -Ça se voit !" Antigone est honteuse, atterrée : "Tandis que toi, naturellement..." Il s'arrête en face d'elle, avec le sourire noir qu'elle aime tant, et la coupe : "Moi, je désire, je n'aime plus." Œdipe, qui est un peu devant eux, s'arrête et dit : "Vraiment?"
C'est à ce moment que la voix encore presque enfantine de Calliope s'élève : "Frère aveugle, qui entends ce que nous ne voyons pas encore, parle-nous de la maladie?" Il se tourne vers elle :
"La maladie, Calliope, travaille à la fois le champ de la vie et celui de la mort. Elle nous fait peur, elle nous égare, mais l'existence n'est-elle pas troublante, exigeante comme le petit enfant ? La maladie est vigilante, elle nous prévient, car elle sait combien le mal est nécessaire et secourable au bien."
Elle n'a plus peur qu'ils deviennent fous. Elle en a parlé à Diotime qui lui avait dit : "Il ne faut pas qu'ils enferment leur malheur en eux-mêmes, il vaut mieux qu'ils le vivent. Ton père a retrouvé un métier, les gens aiment beaucoup ses petites statues."
Ils sortent de la grotte, ils se couchent à côté du feu, chacun, dans le silence de l'autre, pensant à Alcyon, pensant à Jocaste, à la musique sur la montagne, aux oracles et à la vie qui dit : Commence. Et qui s'obstine.
Mon père a poussé gaiement le troupeau en avant, il était plein de vie, de bonheur et de force, il avait en moi la forme d'un grand arbre. C'est la dernière fois que je l'ai vu vivant.
Le lendemain, Œdipe s'assied sur le seuil de la cabane et cherche à se rappeler ce qu'il a chanté la veille. Vaine entreprise, il n'y a plus en lui d'attention profonde, plus de pensées, rien que des invocations misérables et des prières en miettes. Il entend Diotime qui gravie le chemin et s'approche. Il se lève avec une sorte de colère, il s'entend dire : "Prier, toujours prier, ça sert à quoi ?" La réponse est sans hésitation : "Ça sert à prier."
Il ne voulait pas me tuer, mais me lier à jamais par l'obéissance de la terreur et de la haine. J'ai senti confusément le soleil disparaître, la fraîcheur de la nuit descendre. Il y a eu près de moi une présence bienfaisante, était-ce lui, la musique de sa flûte ou seulement sa pensée ? Je ne le saurai jamais.
Le chemin a disparu, peut-être, mais Oedipe est encore, est toujours sur la route.