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Critique de Lamifranz


« Sois sage, ô ma douleur, et tiens-toi plus tranquille »
Ces vers, appris en cours de français dans mes années juvéniles, je les connais par coeur depuis une bonne cinquantaine d'années, au point de me réciter le sonnet dans son intégralité, particulièrement dans certaines circonstances : par exemple en attendant sur un brancard dans un couloir d'hôpital, avant de passer sur le billard (ça ne vous est jamais arrivé, vous ? Non, pas de passer sur le billard, mais de vous réciter des poèmes pour tromper l'attente ?)
Et puis dans les « Fleurs du Mal » il y a du choix : beaucoup de poèmes sont passés à la postérité : « L'Albatros », « L'Homme et la mer », « La Beauté », « Harmonie du soir », « le Beau navire », « L'Invitation au voyage », « La Musique », « Chant d'automne », etc. J'en passe et des meilleurs…
Curieusement, en 1857, Baudelaire et Flaubert passaient tous les deux devant la 6ème chambre correctionnelle, accusés par le même procureur, Ernest Pinard, pour « outrage à la morale publique » et « offense à la morale religieuse ». Flaubert, (pour « Mme Bovary »), fut acquitté, Baudelaire pour « Les Fleurs du Mal » fut condamné et se vit retirer 6 pièces du recueil (elles seront réintégrées en 1949, quand le jugement sera cassé). A posteriori, les deux écrivains paraissent avoir été condamné non pas au nom d'une morale quelconque (qui en avait vu bien d'autres) mais pour avoir pratiqué dans leur oeuvre un réalisme excessif. Ce procès, loin de faire reculer ce réalisme, lui donne des ailes : Flaubert et Baudelaire continueront à écrire dans cette voie, et de plus feront des émules : après Flaubert viendront Zola et Maupassant ; après Baudelaire viendront Verlaine et Rimbaud…
Dire que Les Fleurs du Mal sont une oeuvre personnelle et intimiste de leur auteur est un euphémisme : Baudelaire met « son coeur à nu » dans ces poèmes où il décrit son spleen (mélancolie désabusée) et son idéal (souvent battu en brèche), les femmes qu'il a aimées (et même celles qu'il n'a pas pu aimer, cf « A une passante ») ses sensations devant des paysages (« L'Homme et la mer »), des scènes de la vie courante (« Chant d'automne ») ou des manifestations artistiques (« Mes phares », « La Musique »). Baudelaire fait passer dans ses poèmes un double message : celui de l'homme, avec ses sentiments, ses désirs (y compris les plus charnels), ses envies et ses rejets, son ennui, sa peur de la mort, son angoisse devant le temps qui passe, et sa fuite dans les paradis artificiels que sont le vin et l'opium (il reviendra vers ceux-ci dans un recueil de 1860) ; et celui du poète, attentif à trouver des correspondances entre le matériel et le spirituel, entre le corps et l'âme, entre la réalité et le rêve (fût-il éveillé), attentif également à mettre en place une autre poésie, faite de hardiesses dans la métrique, d'audaces de composition, de fluidité, et de totale adéquation entre la pensée et l'écrit. Héritier de Nerval et d'Hugo (et de Gautier à qui sont dédiées ‘Les Fleurs du Mal), il est également le précurseur de Verlaine et Rimbaud, et derrière eux Apollinaire et plus loin encore Aragon et Eluard.
« Les Fleurs du Mal » sont comme « Alcools » d'Apollinaire, ou « le Fou d'Elsa » d'Aragon. C'est un tout. On peut bien sûr isoler des poèmes et les étudier séparément, mais il y a un fil qui les relie les uns aux autres, et qui en fait un ensemble homogène. C'est comme ces toiles qu'on voit mieux en prenant du recul, en ayant une vue d'ensemble. Eh, mais c'est de l'impressionnisme, ça, non ? Tiens justement, Baudelaire a été un des premiers à saluer des peintres comme Manet et Whistler. Etonnant, non ?
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