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EAN : 978B0100W2F9Q
15 pages
Ligaran (19/06/2015)
5/5   1 notes
Résumé :
Extrait de "Paris ou le livre des Cent-et-Un" volume 10.
Citations et extraits (2) Ajouter une citation
(Suite et fin)
La foule, épouvantée des progrès de l'incendie, veut en fuir le théâtre, et se précipite vers les issues du pont, qu'une foule plus impénétrable encore ne lui permet pas de franchir.
Les efforts qu'elle fait tournent contre elle.
On se bouleverse, on s'élance l'un sur l'autre, on se pousse, on se rue, on s'écrase...
Malheur au plus faible ! il étouffe dans la mêlée, broyé sous les pieds de ses voisins !

Dans les bras protecteurs qui l'entourent et se raidissent autour d'elle de toute la puissance de leurs nerfs, près d'un homme qui n'a plus qu'elle pour pensée, dont l'amour a centuplé les forces physiques, Anna trouve encore un refuge.

Plusieurs fois néanmoins, tous deux, entraînés par les mouvements brusques et irrésistibles des masses, se sont vus ballottés çà et là comme un frêle esquif, jouet des vagues irritées ; mais alors, dans ces moments terribles où la plupart des femmes, horriblement pressées, étouffaient en poussant des cris affreux et déchirants, la jeune fille, enlevée de terre par son ange gardien, dominait de la moitié du corps les flots resserrés de la foule, et respirait encore à l'aise.

Il espérait, lui, confiant dans sa force, l'arracher saine et sauve de cette horrible mêlée, quand soudain, malheur imprévu !
Le pont s'ébranle sous le poids turbulent qui le surcharge.

La pesanteur des masses qu'il supporte est augmentée par leur agitation tumultueuse.
Sa membrure se disloque et craque, ses arches s'émeuvent, tremblent et menacent d'écrouler...

La foule qui sent le terrain chanceler sous ses pas est pénétrée d'épouvante et d’effroi ; la terreur qu'inspirait le feu a fait place à la crainte de l'élément contraire, et chacun, d'un mouvement spontané, s'élance de nouveau vers les issues avec toute la rage d'un hydrophobe.

Cette fois notre jeune homme n'a pu élever sa maîtresse assez à temps ; en vain il l'enveloppe de ses bras qu'il arrondit en cerceaux autour de sa taille, les masses les compriment de tous côtés, les resserrent, et ces membres dont il lui veut faire un rempart, ne servent qu'à mieux l'étouffer...

O douleur ! il la voit déjà qui pâlit et cherche avec effort à reprendre l'haleine qui lui manque ; il entend avec angoisse sortir de sa poitrine haletante des cris semblables au râle d'un mourant quand la respiration lui devient pénible...
Il souffre mille morts ; des tortures infernales déchirent son cœur ; il se raidit avec rage et désespoir ; il maudit Dieu qui ne l'a pas fait plus fort; il tend les muscles de ses bras à les briser, et, furieux, déploie une force surhumaine...
Impossible à lui de gagner deux lignes d’espace ! ...

Son bel hôtel, ses riches et vastes fermes, sa renommée si chère, sa gloire littéraire, vingt années de son existence même, oh! comme il les échangerait volontiers contre un terrain inoccupé de trois pieds carrés, fût-ce dans un horrible désert !...
Mais il ne s'arrête pas à des pensées décourageantes ; à des vœux stériles et impuissants ; il comprend que le salut d'Anna dépend de lui seul, qu'un effort désespéré peut encore la sauver, et il le tente aussitôt.

D'une secousse violente il se dégage et abat à ses pieds ceux qui l’entourent ; il renverse indistinctement hommes et femmes, et les foule avec indifférence ; puis, quand il a conquis assez de place, quand il s'est ouvert un espace suffisant, il se précipite à genoux devant Anna prête à défaillir :
« Vite, place-toi sur mes épaules, lui crie-t-il, n'hésite pas un instant, c'est le seul moyen de te sauver ! »

Il se relève chargé d'un fardeau précieux, et fort à temps, car la multitude se rapprochait, comme une onde déplacée par la chute d'un corps revient combler son vide en rétrécissant le cercle qu'elle a décrit.
Il se dispose à s'éloigner de nouveau du lieu de cette scène affreuse, où l'horreur augmente, où le danger va toujours croissant.

Dès le premier pas qu'il fait, une femme qui s'est laissé choir auprès de lui, s'empare d'une de ses jambes, qu'elle s'efforce de retenir dans une étreinte convulsive; il s'en débarrasse en la repoussant violemment.

Que lui importe la mort de cette infortunée, de mille autres, pourvu qu'il sauve sa maîtresse! Anna est sa seule inquiétude, c'est l'égoïsme de son cœur, c'est l'intérêt auquel il sacrifiait tout !

Pour elle il passe impitoyablement sur le corps de ceux qui lui barrent le passage ; pour elle il ranime son courage épuisé, pour elle il se crée de nouvelles forces, et fend, avec une agilité surprenante, la presse qui s'entr'ouvre devant lui comme l'onde devant un habile nageur.

En peu de temps il a quitté le pont, remonté les quais, et trouvé un endroit où la foule éclaircie lui permet de déposer sur le parapet sa bien-aimée qu'il vient d'arracher à la mort. Il l'assied doucement, et, plein de joie et d'ivresse, il la couvre de baisers, lui adresse mille paroles confuses, échos de son cœur en délire, puis il s'essuie le visage que la sueur inonde, les yeux que troublent des larmes de bonheur !

Au même instant, le bouquet du feu d'artifice monte et s'élève aux cieux qui resplendissent d'une lumière aussi pure que le gaz, aussi vive et plus durable que l'éclair.
Tous les objets sont inondés de clarté.

Il profite de cet éclat propice pour parcourir les traits de son amie. -- Il la contemple avec amour, comme fait une mère à l'enfant convalescent que ses soins ont sauvé.

Enfer et malédiction ! Ce n'est pas elle... Un visage qu'il n'a jamais vu frappe ses regards... Il croit rêver, il pense être sous le poids de quelque horrible cauchemar... Il examine encore.
La figure étrangère le convainc de l'effrayante réalité ! Cette femme, qu'il considère dans un morne étonnement, dans une stupeur muette, cette femme indigne avait écarté la pauvre Anna, faible et suffocante, et lui avait lâchement volé sa vie...
À genoux, la tête inclinée, il n'a pu s'en apercevoir; cela s'est fait si vite, et dans un tel moment ! Jouet d'une ruse infernale, abusé par une erreur funeste, il a repoussé sa pauvre amie qui s'attachait à ses pas, et sauvé une inconnue...
Cette affreuse déception lui donne un accès de rage, il rejette avec horreur la misérable qui s'appuie encore sur son bras, et la précipite dans la Seine....

Quelques instants après, les quais étaient déserts, le théâtre de la fête vide, et du pont des Arts où gisaient plusieurs corps inanimés, un jeune homme, pâle, hagard, étreignant dans ses bras le cadavre d'une jeune fille, s'élança dans les flots.

Le gouffre, par un son lugubre, accusa réception de la double victime !

Le lendemain, on repêcha trois corps aux filets de Saint-Cloud, la morgue fut encombrée, et les journaux de l'empire vantèrent la magnificence de la fête !
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Marie-Louise venait de donner à Napoléon un fils qui semblait promettre d’asseoir pour des siècles une dynastie commençante.
En célébration de cet heureux événement, l’empereur ordonna des fêtes magnifiques dont Paris fut le théâtre.

Jamais l'enthousiasme, qui présidait dans ce temps-là à toutes les réjouissances publiques, ne fut plus vif, plus ardent, et plus emporté. L'effrayante population de Paris semblait s'être donné rendez-vous autour des Tuileries.

Un jeune homme qui tenait à son bras une jeune personne, sur laquelle il veillait avec la sollicitude la plus tendre, les soins les plus prévenants, s'efforçait de fendre la multitude, et de remonter les quais vers le pont des Arts.

C'était plaisir que de le voir attentif, inquiet, préserver sa compagne des atteintes brusques et des mouvements subits imprimés à la foule.
C'est qu'aussi c'était son bien le plus précieux au monde, son Anna adorée depuis longtemps, qui lui était promise depuis peu, et qu'il allait bientôt épouser.

Chez lui, l'amour n'était pas le fruit d'un caprice, ni du calcul des convenances ; une de ces passions soi-disant inextinguibles qui s'évaporent après trois mois de mariage, qui s'usent dans des caresses non refusées, que la possession tue et change en indifférence ; c'était un sentiment profond, inaltérable, fortement enraciné dans son âme, inhérent à son cœur, enté sur son existence.

Pauvre et sans nom, il lui avait fallu, pour obtenir Anna riche et titrée, acquérir illustration et fortune.

Deux ans lui avaient suffi pour vaincre des obstacles qui paraissaient insurmontables ; et, riche, cité parmi nos littérateurs les plus distingués, il s'était de nouveau présenté chez les parents de son amante, qui cette fois l'avaient agréé.

Un désir capricieux de la jeune fiancée les amenait tous deux au milieu de ce nombre infini de personnes, et ils faisaient mille efforts pour joindre le pont des Arts, point d'où ils pensaient voir fort à leur aise, comme d'un balcon commode, le brillant feu d'artifice qu'on allait tirer.
Ils arrivèrent au but qu'ils désiraient atteindre, et n'attendirent pas longtemps le spectacle pour lequel ils étaient venus.

Et d'abord ils admirèrent. Anna, toute curieuse et jeune, regardait le feu d'artifice avec un plaisir d'enfant, tandis que lui contemplait avec ravissement le charmant visage de son amie, qui rayonnait par intervalle sous les jets de lumière, comme une tête d'ange sous sa divine auréole.

Et puis, quel charme, quel plaisir n'éprouvait-il pas à protéger contre la multitude toujours croissante cette créature frêle et délicate, cet être mignon et joli ; à opposer son corps comme un rempart pour conserver et agrandir l'espace qu'elle occupait, pour que personne, excepté lui, ne pût la toucher ; à recevoir de temps en temps, en paiement de ses soins, en récompense de ses peines, un regard doux et suave comme une caresse, un coup d'œil enivrant comme un baiser !

Voici que tout à coup le vent s'élève avec violence. Opposé au cours de la Seine, il entraîne les baguettes artificielles, et les disperse en pluie de feu sur les spectateurs.

On commence par rire de l’incident ; de joyeuses comparaisons volent de bouche en bouche : Sodome, Gomorrhe, l'aspersion métallique de Danaë, les baptêmes de l'empereur sous le feu des ennemis, les batailles de l'époque et d'autres faits historiques et fabuleux servent de texte aux plaisanteries, et font allusion à la situation présente.
Bientôt, cependant, l'hilarité tombe devant l'évidence du péril.
Déjà plusieurs vêtements de femme se sont enflammés. Rien de plus contagieux que le feu.

En peu d'instants l'incendie s'est accru, il s'est agrandi, gagnant de proche en proche avec une vitesse alarmante ; et le pont des Arts, où il s'est déclaré, présente l'image d'un de ces hideux actes de foi de la superstition espagnole.

Jusqu'ici, notre jeune amant a su préserver sa maîtresse de l'orage igné ; mais un autre danger la menace.

(La suite dans une seconde citation...)
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