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Critique de Tandarica


Ce recueil est préfacé par Michèle Touret et comporte les illustrations suivantes: un détail de Guillaume Barré, "Le Voyage", en couverture, cinq dessins de Marcel Béalu lui-même (dont l'androgyne "Ange au chèvrefeuille", en regard de "No man's land") et enfin une photographie de Max Jacob par Marcel Béalu. Il réunit 18 textes courts, voire très courts, dont on ne saurait trop dire s'il s'agit de contes ou de nouvelles. En voici la liste: "Soliloque d'un veuf", "Le montreur de marionnettes", "Le fabricant de rides", "Palais-Royal", "Le mort de la chambre", "Le nom", "L'étranger impitoyable", "La visiteuse nocturne", "Les rois", "Le porte-bonheur", "L'inspecteur", "La maison d'en face", "L'armurier", "Le chroniqueur de l'empire", "Les lys et le sang", "La porte incompréhensible", "Les deux clientes", "Judith".
Dans "Aurélia", me semble-t-il, Gérard de Nerval écrit: "Je n'ai jamais éprouvé que le sommeil fût un repos. Après un engourdissement de quelques minutes, une vie nouvelle commence." Dans "Judith", le narrateur déclare explicitement:" je me trouvai aussitôt transporté, en rêve, dans un autre théâtre", tandis que celui de "L'étranger impitoyable" se dit à son tour "tiré trop tôt du sommeil pour vaquer à [ses] habitudes". Ces messagers apparaissent comme des passeurs similaires aux personnages de Shigeru Mizuki ("Kitaro" et "3, Rue des mystères" essentiellement) et le monde des songes n'est pas toujours affirmé catégoriquement, de sorte qu'on peut soupçonner que des esprits s'en mêlent. "La visiteuse nocturne" s'apparente très clairement à cette histoire de Shigeru Mizuki dans laquelle un étage entier d'un grand magasin disparaît mystérieusement pour le liftier. le veuf clôt son soliloque par cette phrase: "quand j'aurai tout dit, j'irai me jeter dans le puits". Je pense que Michèle Touret résume fort bien dans sa préface l'univers de Marcel Béalu: "le moment où tout bascule est aussi celui où se déchirent les voiles, où se défont les apparences, dans la plus banale des situations; alors tout dérape dans l'insolite et l'inacceptable. Il n'y a pas de degré dans l'inacceptable, c'est cela que Marcel Béalu nous fait percevoir par un art de figurer l'insolite, qui va de l'indice subtil à l'image fantastique dans un monde d'ombres fugaces, de scènes atroces ou atrocement rêvées, qui répondent à des codes secrets et à leurs propres règles de savoir-vivre, comme dans la nouvelle intitulée "L'Armurier": "en aucun cas, la victime ne doit, par le spectacle de son agonie, indisposer le sacrificateur". Il y a donc aussi de l'humour, mais surtout un style que je qualifierais de très élégant dans sa concision. L'ensemble des six sens du lecteur sont paradoxalement maintenus en éveil par une perception que l'écrivain sollicite constamment. Ainsi dans "Les lys et le sang", l'odorat devient un personnage à part entière. Je souhaite m'attarder à présent sur ce texte qui comporte en exergue cette citation de Shakespeare: "Les lys qui pourrissent sentent plus mauvais que les herbes." Duval, le protagoniste, qualifié d'abord de fou par le narrateur est ainsi présenté: "mais aussitôt une réflexion pleine de clairvoyance me stupéfiait, car elle indiquait à n'en pas douter un esprit non seulement nourri par des années d'études et de méditation, mais aussi aiguisé au laminoir des passions." Son rapport à l'argent suscite la part du narrateur cette réflexion: "c'est dans la libre jouissance des "biens de la terre" que réside peut-être le pire des désespoirs, si l'on se distingue quelque peu du dernier des animaux". Il dispose d'une bibliothèque: "la "Bible", "Le Livre des Morts thibétains, les "Lois de Manou" y voisinaient avec Swift, Cervantès, Poe, Melville. À côté de ces sommets de l'intuition des hommes, je remarquai, rassemblés dans un coin, plusieurs ouvrages bizarres: "Le Lys dans le Blason", par M. de Rochecaille; un "Traité de la fleur", par le Révérend Père Bastien; "L'Horticulture Pratique", de Rolph du Guet ; "Pour avoir des Orchidées", et autres "Fleurs du Jardin"...". Je ne saurais dire davantage sur le véritable secret qui relie les lys à ce mystérieux Duval, si ce n'est donner la parole à l'intéressé: "seuls les lys possèdent une clarté charnelle pareille à certains airs envoûtants de Monteverdi ou de Schutz..." et ensuite au narrateur: "puis une persistante et forte odeur, grisante jusqu'à la nausée, nous assaillit. Enfin, au débouché du sentier, j'éprouvai ce choc silencieux et toujours trop bref qui précède l'enchantement de l'âme. Il semble que seule l'absolue nouveauté puisse le provoquer, et pourtant l'ivresse en persiste bien après que s'est enfui l'étonnement." J'utilise enfin les trois dernières lignes du texte pour qualifier mon sentiment de lecture: "merveilleux et immarcescible bijou ciselé dressant ses triomphantes étamines comme des antennes d'or tendues vers quelque secret paradis futur".
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