Citations sur Le Deuxième Sexe, tome 1 : Les faits et les mythes (235)
Mais les mâles n'auraient pu jouir pleinement de ce privilège s'ils ne l'avaient considéré comme fondé dans l'absolu et dans l'éternité: du fait de leur suprématie ils ont cherché à faire un droit. "Ceux qui ont fait et compilé les lois étant des hommes ont favorisé leur sexe, et les jurisconsultes ont tourné les lois en principes", dit encore Poulain de la Barre. Législateurs, prêtres, philosophes, écrivains, savants se sont acharnés à démontrer que la condition subordonnée de la femme était voulue dans le ciel et profitable à la terre.
Le besoin biologique - désir sexuel et désir d'une postérité - qui met le mâle sous la dépendance de la femme n'a pas affranchi socialement la femme. Le maître et l'esclave aussi sont unis par un besoin économique réciproque qui ne libère pas l'esclave. C'est que dans le rapport du maître à l'esclave, le maître ne pose pas le besoin qu'il a de l'autre; il détient le pouvoir de satisfaire ce besoin et ne le médiatise pas; au contraire l'esclave dans la dépendance, espoir ou peur, intériorise le besoin qu'il a du maître; l'urgence du besoin fût-elle égale en tous deux joue toujours en faveur de l'oppresseur contre l'opprimé: c'est ce qui explique que la libération de la classe ouvrière par exemple ait été si lente.
Le lien qui l'unit à ses oppresseurs n'est comparable à aucun autre. La division des sexes est en effet un donné biologique, non un moment de l'histoire humaine. C'est au sein d'un mitsein originel que leur opposition s'est dessinée et elle ne l'a pas brisé.
les prolétaire non plus ne sont pas en infériorité numérique et ils n'ont jamais constitué une collectivité séparée. Cependant à défaut d'un évènement, c'est un développement historique qui explique leur existence en tant que classe et qui rend compte de la distribution de ces individus dans cette classe. Il n'y a pas toujours eu des prolétaires: il y a toujours eu des femmes; elles sont femmes par leur structure physiologique; aussi loin que l'histoire remonte, elles ont toujours été subordonnées à l'homme: leur dépendance n'est pas la conséquence d'un évènement ou d'un devenir, elle n'est pas arrivée. C'est en partie parce qu'elle échappe au caractère accidentel du fait historique que l'altérité apparaît ici comme un absolu.
Tout le monde s'accorde à reconnaître qu'il y a dans l'espèce humaine des femelles ; elles constituent aujourd'hui comme autrefois à peu près la moitié de l'humanité; et pourtant on nous dit que la "féminité est en péril"; on nous exhorte: "Soyez femmes, restez femmes, devenez femme; il lui faut participer de cette réalité mystérieuse et menacée qu'est la féminité. Celle-ci est-elle secrétée par les ovaires? ou figée au fond d'un ciel platonicien? Suffit-il d'un jupon à frou-frou pour la faire descendre sur terre? Bien que certaines femmes s'efforcent avec zèle de l'incarner, le modèle n'en a jamais été déposé.