"Sur le lino traine un valet de trèfle dont l’orientation diagonale pointe la ZAD de Notre-dame-des-Landes. Elle est là à portée de pieds. Un pas de côté et nous y serions. Au lieu de quoi un journaliste régional juste arrivé sollicite une interview. Légère, l’interview, car leur supplément week-end entend éviter les sujets anxiogènes. En l’espèce, anxiogène veut dire compliqué veut dire que nous ne parlerons pas de livres. Il a vu sur Wikipedia que j’avais passé des années à Nantes, quels souvenirs j’en garde ?
-Ceux que j’ai racontés dans mon dernier livre.
-Il s’appelle comment ?
-Parmi vous j’aurai peu joui."
Tant de choses
n'apparaissent insupportables
que lorsqu'on s'autorise
à ne plus les supporter.
"Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé
- Long sucré ça va ?
- Oui.
Elle s'assoit à côté pour tromper son ennui. À part cafetière elle ne voit pas à quoi elle sert. C'est fréquent d'être payé à rien branler ou c'est juste elle ?
- C'est fréquent.
Son contrat prévoit trente heures hebdo mais franchement pour ce qu'on lui demande dix suffiraient. Elle aimerait faire de l'antenne, on ne lui proposera rien. Déjà qu'ils virent les anciens, on les voit mal créer des postes pour les bleus. Elle raccompagne à l'ascenceur un quatuor d'éditorialistes surgis du studio roi de France Inter. Pendant une heure ils ont passé en revue l'actualité. Ce sont des observateurs du pouvoir. Ils ne le lâchent jamais des yeux. Quatre d'entre eux publient aussi des romans. S'ils étaient fonctionnaires ils seraient à la retraite. Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé revenu de base inconditionnel. Ses initiateurs en escomptent qu'il
- Vous lisez le Monde ? Vous avez moins de soixante ans pourtant.
C'est l'animateur. Son ton est assuré, son nom sans particule. Il a lu le même article qu'il trouve abscons.
- Je vous introduis ?
Pourquoi pas. Dans le studio, une CDI à tee-shirt cheap rehaussé par son extraction conclut le flash par l'événement culturel de la semaine, la diffusion sur M6 de la saison 5 de Mad Men. On y sera sans faute, ponctue l'animateur. En off il la félicite pour son bronzage de ski pascal.
- T'étais où ?
- Courche.
- Y avait de l'ambiance aux Caves ?
- Moyen.
Pull moulant boutonné à l'épaule, il habite le neuvième arrondissement. Il ne va pas tarder à prendre la décision personnelle de se laisser pousser la barbe. Il me trasmet une demande de test micro.
- Dimanche prochain la Suisse organise une votation sur le revenu inconditionnel à vie, autrement appelé revenu de base inconditionnel. Ses initiateurs en escomptent qu'il révoque les contrôles avilissants auxquels sont soumis les bénéficiaires d'allocations sociales, et que chacun soit libre de jouir de la brève finitude qui lui est échue. ça ira ?
Derrière la vitre le réalisateur hoche une tête sympa service public. Tiens tant qu'il y pense l'animateur voudrait une adresse pour m'envoyer son premier roman publié en mai.
- Pour une fois je ne fais pas parler les autres mais moi.
En s'allumant l'ampoule rouge lui donne une voix profonde. Il annonce d'emblée une petite surprise pour l'invité du jour. D'un bras il lance un morceau de Green Day, sourire farceur comme s'il exhumait une vidéo caméscope où j'ai pissé au lit. Everybody loves a joke. Il écourte pour ne pas casser les oreilles auditrices habituées aux chansons électrifiées a minima. Lumière rouge.
- C'était une petite madeleine de votre folle jeunesse punk.
- Bien le prendre est poli et lâche. Mal le prendre est impoli et brave.
- Vous avez honte de ces années ?
- J'ai honte pour vous."
Un essaim de palabres se laisse porter par l'air chaud. Reprenons ce qu'ils ont volé. Libre de choisir mes semences. L'alphabet dans l'ordre que je veux. Mort aux châtiments, mort à la récompense. Posséder m'a toujours indifféré. La propriété c'est du vol. Le lino est mon meilleur ami. Nous revendiquons le droit à la maladresse. Nous nous arrogeons le droit à l'oubli. Le bonheur est dans les plis. La subversion c'est la complexité. N'insultez pas l'intelligence de la classe ouvrière. Personne n'est expert tout le monde l'est. Le pouvoir n'est rien nous sommes tout. Rien à attendre des dominants. Rien à tirer des inconsistants. Cessons de les regarder ils se dissoudront. Notre indifférence les fera fondre. Nous qui désirons sans fin nous changerons d'échelle. Il n'y aura plus d'Etat il n'y en a jamais eu. Fini les mots d'ordre, vive des mots de désordre. Désaxons-nous. Délions-nous. Voici venu le temps des techniciens. Il ne faut pas lutter il faut se déplacer. Foin d'Histoire vive la géographie. Laissez-moi manger ma banane. O paresse, mère des arts et des nobles vertus. Je suis fier de ne rien faire. J'efface ma dette. Je ne retournerai pas dans les artères toxiques.
De ce que la population locale ne connaisse pas les auteurs mandés jusqu'à elle résulte une éducation populaire sans peuple que maintiennent sous perfusion les retraités blancs agrégés dans des pavillons à l'écart des barres d'immeubles [...].
Vous que le temps épargne ou qu’il peut rajeunir, gardez de cette nuit au moins le souvenir.
-ce sera peu lu, vous savez.
-pas grave. Hors du peu il n'y a rien.
On le dit ancien trotskiste. Peu de trotskistes sont nouveaux.
Moindre envie. Plus trop la niaque pour ça. S'est dit que le suicide prend la vie trop au sérieux. S'est dit que désespérer impliquait une grosse dose d'espoir , et l'espoir a priori c'est pas sa came.
Il fait croire que penser à rien est une béatitude inaccessible à notre espèce.