Il y a un fossé sidérant entre ce qu'est
La politesse, de
François Bégaudeau, et ce qu'on en dit dans la presse. C'est effroyable et en même temps amusant, parce que la façon dont il a été traité est la preuve de la justesse du constat que l'auteur y fait. Une parfaite démonstration par l'exemple.
Le champ littéraire et la société dans laquelle il s'inscrit sont malades et moribonds. On y souffre. le livre est poli parce qu'il fait rire de ce constat désespérant, mais pas que. «7. critiquer une époque en déniant à ceux qui la vivent toute capacité à la déjouer est impoli ». Et l'auteur fait ce qu'il dit.
Pour moi, l'enjeu du livre est là : raconter des révolutions. Des prises de Bastille personnelle, littéraire, politique, et sociétale.
Et ce livre est révolutionnaire : il explique comment sortir des quatre murs de la survie et de la misère relationnelle qu'elle impose.
Se promener, écouter, ouvrir les yeux, attraper les signes avant-coureurs : la révolution est déjà en marche (Partie II). Il ne faut « pas résister, mais s'écarter. »
François Bégaudeau ne dit pas je sais bande d'ignares, il raconte comment il fait comme il peut, comment lui, progressivement, s'est compris et a fait un pas de côté.
On m'objectera peut-être qu'on l'a lu, qu'on n'a pas vu. C'est qu'il faut se concentrer. Il faut faire « l'effort d'appréhender des oeuvres exogènes à (notre) périmètre de référence ». Et accepter de ne pas tout comprendre : « Tiens voilà encore de l'énergie à recueillir : celle dégagée par quelqu'un qui comprend assez pour comprendre qu'il ne comprend pas tout. »
Il faut aussi aimer jouer. Être malin comme le singe que l'auteur est, et joyeux comme l'enfance. Il faut être Alice et suivre les cailloux semés.
Puis tracer son chemin.
C'est ainsi que j'ai relu le livre, que j'ai dessiné ma carte aux trésors littéraires par exemple.
J'aimerais que
La politesse fasse du bien à ceux qui ont un réel d'avance. Les réconforte au besoin de ceux qui, encore ricanants, leur foutent la paix à peu près tant qu'ils ne nuisent pas à leurs intérêts, sortent toutes les artilleries dans le cas contraire. Je pense aussi à Flavia, qui a choisi de vivre en camion, négocie son départ de la Poste et va s'installer sur son petit paradis de terrain où il y a l'essentiel – un étang, des arbres, la beauté – et où il faut tout construire, pour être auto-suffisante.
Dernière chose et puis j'arrête parce que je ne veux pas être trop longue : outre ce que je viens d'écrire, qui suffirait à en faire un livre à mettre en circulation sur le champ,
La politesse est un enchantement pour qui aime la langue, les jeux avec les mots et la poésie. Derrière chaque blague, chaque torsion linguistique, il y a du fond. Je déflore un peu le livre mais il y en a tellement que je ne spoile pas beaucoup, j'en cite trois :
« Son père l'avait tailladé en châtiment d'une punition » (p17) ; « la libération sexuelle, d'accord, mais sans les repères éducatifs c'est la porte ouverte à toutes les fenêtres » (p187) ; et les cascades surréalistes de bleus, bleu espadon, bleu douche, bleu scooter, bleu moquette, bleu valise, bleu harpe, bleu turquoise, bleu vache, bleu noix, bleu poisson, bleu ours, bleu fauteuil, bleu lézard, dans un livre où il y a peu de couleurs.(j'ai cherché d'ailleurs l'arc-en-ciel, mais le violet n'apparaît pas).
Le chapitre 20 de la partie II est mon préféré.