J'ai vite fermé les volets, la porte, et je me suis assise une dernière fois sur le perron, pour emporter à Paris une image des montagnes, gravée sur ma rétine.
J'avais pris mes décisions dans l’urgence, je me doutais que si je gardais un peu de raison, j'aurais fait marche arrière. Je m'étais jetée dans un tourbillon de démarches administratives pour pouvoir oublier la petite voix en moi qui me susurrait que j'étais folle. Disponibilité de l'hôpital, installation en tant qu'infirmière libérale, achat d’une voiture, vente de l’appartement. Pimpon avait été d'accord sur tout. Elle resterait à Paris pour ses études, je ne pouvais pas l’embarquer totalement dans ma folie, elle viendrait seulement aux vacances. Sans le savoir, elle était le cœur de la plus forte de mes angoisses: comment allais-je vivre sans elle? Mon Olympe, que je continuais à appeler du Pimpon de l'enfance, alors qu'elle était déjà une jeune femme. Bien sûr, je savais qu'un jour elle partirait, qu’il me faudrait trouver une solution pour combler le vide affectif qu’elle laisserait, mais je repoussais toujours cette éventualité. p. 42-43
Finalement, ce qui changeait le plus ici, c'est que le temps n'avait plus la même fulgurance qu'en ville. On savait que pour obtenir quelque chose il ne suffisait plus de cliquer sur une souris, ou de trépigner. J'apprenais la patience moi aussi.
On ne naît pas pervers, Paloma, c'est la vie qui vous détruit petit à petit, avec plus ou moins de force, plus ou moins d'insistance. Je ne sais pas pourquoi elle s'attaque à certains et pas d'autres. Comment elle choisit ses victimes. Comment elle décide du modus operandi, si elle va s’acharner à coups de pied, à coup de sexe, à coups de pierre, ou si elle va décider de frapper d'un seul coup, avec une balle en plein coeur. Je la soupçonne d'être perverse et de préférer la torture.
- Tu penses que les hommes ne pleurent pas, Rose?
- Si, bien sûr, et bien plus que nous. Mais ils étouffent de chagrin et se consument d'un seul coup. Il leur faudra encore quelques siècles avant qu'ils ne s'autorisent à gémir, à hurler, à crier leur détresse à la face du vent et du monde. Nous, nos mères nous ont appris qu'il faut pleurer pour que la douleur s'échappe et aille brûler ailleurs, au lieu de nous rôtir les entrailles.
Je ne suis qu’une simple femme. Une simple femme, qui n’aime que les héros. C’est la punition pour celles qui ont ce penchant : les héros meurent jeunes et les femmes qui les ont aimés vivent vieilles pour les pleurer encore plus longtemps.
Ce sont les hommes qui nous font femmes, Paloma. Nous avons besoin de leur amour pour croître, pour nous sentir merveilleuses, pour exister.
Je pourrais dire que la maison a pris la parole en premier, qu’elle m’a raconté, ce matin-là, sa solitude insupportable, ses petits maux et ses grandes douleurs. Je l’ai écoutée gémir, subjuguée, interdite. Je ne m’attendais à rien de semblable.
Tu m'as parlé de la ligne bleue des Cévennes, du tranchant des crêtes, de l'émotion que tu ressentais chaque fois que tu venais ici.
J'ai été surprise par la beauté du village : à flanc de colline, sur un plateau verdoyant, avec un château dans le fond de la vallée.