Comment aurais-je pu dire au revoir à un garçon dont je ne connaissais rien, même pas le prénom. Je fuyais avec ma culpabilité : j’avais menti pas omission. Omission des caresses, des baisers, de la séduction. Je ne percevais en moi que le vide prodigieux de l’insuffisance du désir, la carence de l’envie, l’absence de l’amour.
On ne perçoit pas consciemment comment certaines personnes vous manquent avant de les connaître, on devine juste, une fois qu’on les a rencontrées, qu’on ne pourra plus jamais vivre sans elles.
Ce silence, c'était celui des gens de la terre où l'on sent bien mieux qu'on ne parle.
La vue, dégagée malgré la végétation désordonnée, portait loin. L'air d'automne était sec, le bleu se battait avec le doré des châtaigniers.
C'est toi qui m'a dit ça un jour, Jacques : depuis cette porte, on prend les Cévennes en plein coeur.
L'aube venait doucement, j'entendais les cris des goélands, et vu le raffut qu'ils faisaient, il devait y avoir un retour de pêche sur le port.
Il était difficile d’accéder à la porte d’entrée, le chemin n’existait plus, envahi par les ronces, les genêts qui avaient pris possession des lieux. J’ai fini par discerner dans ce chaos de végétation une sente à peine perceptible, tracée par des animaux et j’ai pu grimper sur le perron par un simulacre d’escalier. Je me suis retournée, j’ai vu les montagnes et j’en ai eu le souffle coupé à nouveau. C’est toi qui m’as dit ça Jacques ; depuis cette porte, on prend les Cévennes en plein cœur.
On ne perçoit pas consciemment comment certaines personnes vous manquent avant de les connaitre, on devine juste, une fois qu'on les a rencontrés, qu'on ne pourra plus jamais vivre sans elles.
Pour la première fois de ma vie, j’ai pensé à maman autrement, je me suis demandé ce qu’elle avait dû vivre, elle, pour être si dure, si désabusée. On ne naît pas pervers, Paloma, c’est la vie qui vous détruit petit à petit, avec plus ou moins de force, plus ou moins d’insistance. Je ne sais pas pourquoi elle s’attaque à certains et pas à d’autres. Comment elle choisit ses victimes. Comment elle décide du modus operandi, si elle va s’acharner à coups de pied, à coups de sexe, à coups de pierre, ou si elle va décider de frapper d’un seul coup, avec une balle en plein cœur. Je la soupçonne d’être perverse et de préférer la torture.
Une fois le café bu avec les parents, Fernand et Rose étaient partis marcher un peu sur les chemins, sans dire un mot, juste pour sentir l’épaisseur du silence entre eux. Ce silence, c’était celui des gens de la terre où l’on sent bien mieux qu’on ne parle.