Ce tome fait suite à The United States of Murder Inc. Vol. 1: Truth (épisodes 1 à 6) qu'il faut avoir lu avant. Il comprend les 6 épisodes de la deuxième saison, initialement publiés en 2018/2019, écrits par
Brian Michael Bendis, dessinés et encrés par
Michael Avon Oeming, avec une mise en couleurs réalisée par
Taki Soma. Oeming a réalisé les couvertures originales. Ce tome comprend également une couverture variante réalisée par
David Mack, ainsi que 7 pages de recherches graphiques d'Oeming.
Un homme chute depuis un étage élevé d'un immeuble : le père de Jagger Rose vient d'être défenestré par un assassin. Il constate que sa vie ne défile pas devant ses yeux. Peut-être espère-t-il qu'un souffle de vent le pousse vers une fenêtre ? Ou peut-être pense-t-il à sa fille ? Toujours est-il qu'il s'écrase plusieurs dizaines d'étages plus bas, son corps explosant sous l'effet de l'impact. Il y a 11 ans, oncle Jack (un tueur de la famille Bonavese) vient chercher sa nièce Jagger Rose dans sa classe à l'école. Il l'emmène dans un des repères de la famille Bonavese. Il lui explique que l'individu ligoté sur une chaise est l'homme qui a assassiné son père. Il est déjà un peu amoché, et sur une petite table devant lui se trouvent un couteau, une grosse paire de ciseaux et un tournevis. Il lui explique d'une voie douce et posée qu'il s'agit d'une tradition de la famille, que lui-même a achevé l'assassin de son père alors qu'il avait 17 ans. Il continue : il s'agit d'un moment décisif car si elle n'a pas le courage de l'attaquer maintenant, elle ne l'aura jamais. Il est en train de parler quand elle s'élance en avant, se saisit du couteau et dans le même mouvement le plante sauvagement dans l'oeil gauche de l'individu ligoté. Oncle Jack est obligé de la saisir pour la détacher de l'assassin et pour la calmer. L'éducation de Jagger par Jack peut commencer.
À New York, au temps présent, Jagger Rose et Valentine Gallo se retrouvent et échangent quelques mots, se demandant ce qu'ils vont devenir. le temps est venu pour la présidente Erica Sanchez de prononcer un discours, suite aux agents du FBI assassinés et mis en croix au pied des marches du Capitol. Elle déclare d'un ton ferme et assuré qu'en tant que présidente des États-Unis elle estime que ces meurtres constituent une déclaration de guerre. Quelques temps plus tard, Don Bonavese s'adresse aux membres les plus influents de la famille, rassemblés dans leur quartier général à Pier Park, dans le New Jersey. Il brandit le petit insigne métallique de la famille (un couteau) en parlant des valeurs de la famille. Il demande à Tommy un enfant de 6 ans présent dans l'assistance, ce que ce symbole signifie pour lui : il répond par le mot Loyauté. le service de sécurité a été organisé par Jagger Rose. À l'extérieur, elle supervise une flotte de drones qui quadrillent l'espace aérien. Valentine Gallo se tient à ses côtés, observant comment elle s'y prend tout en écoutant les paroles du Don. D'un seul coup, tous les drones tombent au sol.
Dans le premier tome,
Brian Michael Bendis avait proposé une Histoire alternative au cours de laquelle le crime organisé avait réussi à supplanter le gouvernement dans plusieurs états dont celui de New York. le titre de ce deuxième tome annonce que l'équilibre des pouvoirs est remis en cause. Mais avant de plonger dans cette opposition, les auteurs consacrent les 2 premiers épisodes à l'histoire personnelle de Jagger Rose. le lecteur se doute bien qu'elle n'a pas mené une vie tranquille pour devenir la tueuse émérite de la famille Bonavese. D'entrée de jeu, Bendis ne fait pas semblant avec un assassinat sur 5 pages, et Oeming se montre à la hauteur. Il réalise toujours des dessins aux pourtours à la fois simplifiés comme pour un dessin animé tout public, à la fois un peu grossiers comme esquissés par moment. L'épisode s'ouvre avec un dessin en pleine page, donnant la sensation au lecteur de se pencher par la fenêtre juste après voir poussé Mister Rose dans le vide et le regarder tomber. Dans les 2 pages suivantes, le dessinateur a opté pour 2 cases verticales par page, accompagnant la victime dans sa chute, jusqu'aux deux pages suivantes avec un dessin en double page montrant le moment de l'impact avec le corps fracassant le capot d'une voiture, le parebrise qui éclate, la peau qui explose sous la force du choc libérant les entrailles, et les façades des immeubles dans une contreplongée inclinée.
Cette première séquence remet tout de suite en tête la force de la narration visuelle de
Michael Avon Oeming. En surface, les aplats de noirs fluides et massifs apportent une solide consistance à chaque page, à chaque élément, et confèrent un aspect tranché entre ces zones impénétrables et les éléments qui s'en détachent. Cet effet esthétique s'avère très séduisant donnant une sensation de lecture facile et immédiate, une apparence visuelle tout public à la gratification instantanée.
Taki Soma utilise une palette de couleurs pop des années 1970, flirtant avec le psychédélisme, ajoutant encore à l'immédiateté du plaisir de lecture. Très rapidement, le lecteur se rend compte que cette accessibilité n'est en rien synonyme de simplisme ou d'économie pour dessiner. Il constate que les compositions de pages et les prises de vue sont très inventives, à l'opposé d'une grille paresseusement reproduite de page en page. Lorsque Jagger Rose se bat contre un grand balèze, les cases s'inclinent sous l'effet de la force des coups, jusqu'à décrire un arc de cercle. Lorsque Jagger et Valentine ont une conversation en tête à tête, les cases se rétrécissent pour rendre compte de l'intimité née de la familiarité. Lorsque Gallo et Bonavese se trouvent dans une suite dans un immeuble de Tokoy, les cases sont de la largeur de la page, montrant le reflet des immeubles sur la baie vitrée et les silhouettes des 2 personnages derrière. Lorsque Gallo et Rose s'enfuient dans les ruelles de Tokyo le fond de la page devient un labyrinthe pour montrer qu'ils progressent dans un dédale. Lorsque le président Gary Gordon effectue sa déclaration fracassante, la narration visuelle prend la forme de cases de la largeur des 2 pages en vis à vis, à raison de 2 cases par double page.
Le principe de simplification des personnages permet au lecteur de plus facilement se projeter en eux, et à l'artiste d'exagérer leurs expressions. Cela offre également d'autres possibilités que l'artiste utilise avec un savoir-faire consommé. le lecteur ressent toute la rage irraisonnée de la fillette (Jagger) qui se jette sauvagement sur l'assassin de son père sans aucune retenue, de façon primale. Cette scène échappe à tout cliché grâce à sa force crue. Il en va de même quand elle affronte le colosse quelques années plus tard. Oeming se montre tout aussi convaincant dans les moments plus intimistes, par exemple quand Valentine Gallo tient la main de sa mère à l'hôpital, alors qu'elle ne peut toujours pas sortir de son lit. le lecteur peut voir la sollicitude du fils pour sa mère, ainsi qu'une sensation diffuse de malaise qui trouve son explication à la fin de la séquence. Bien sûr le lecteur remarque beaucoup plus facilement les qualités de la narration visuelle lors des scènes énormes. Un assassin doit abattre une femme politique importante : elle se trouve dans une suite d'hôtel en train de se faire faire une gâterie par un de ses gardes du corps. À l'évidence, Bendis s'est fait plaisir dans la provocation, et Oeming s'amuse bien à mettre ça en scène avec une rigueur épatante, tout en retenue. le lecteur n'est pas près d'oublier cette prise de vue qui n'a rien de pornographique ou d'érotique, ce qui ne la rend que plus efficace.
Une fois qu'il a donné une histoire personnelle à Jagger Rose,
Brian Michael Bendis reprend le cours de son intrigue principal et tient les promesses du titre. L'assassinat à la bombe d'un sénateur dans le premier tome a détruit l'équilibre précaire entre les pouvoirs (les États-Unis d'un côté, Murder Inc. de l'autre). le lecteur un peu habitué se dit que le scénariste va tirer profit de la situation qu'il a créée : l'enjeu de la série va être cet affrontement entre le gouvernement élu et les Familles du crime organisé. Alors qu'on peut reprocher à Bendis d'être un peu tiède dans ses séries de superhéros pour Marvel ou pour DC Comics, quand il écrit ses séries personnelles, il va de l'avant. le lecteur découvre qu'il est hors de question de jouer le jeu des oscillations autour d'un statu quo vers lequel on revient toujours. Ce n'est pas une guerre froide entre les États-Unis démocratiques et Murder Inc. : c'est une guerre ouverte. le lecteur a peine à croire à l'ampleur des changements qui interviennent, tout en se disant qu'il s'agit de 2 superpuissances entrant en guerre. Il sourit en se rendant compte que
Brian Michael Bendis bouscule la sensation d'immuabilité des États-Unis. En effet, l'idée de plusieurs états sous la mainmise du crime organisé n'est pas si délirante que ça, et même plausible. En effet, l'idée d'une femme présidente aussi dominante qu'un homme fait sens. Effectivement un fils (Valentine) peut juger durement les choix de sa mère (
Madonna), jusqu'à estimer qu'elle n'est pas une personne à admirer.
Brian Michael Bendis n'a rien perdu de son mordant, de sa verve, de sa capacité à concevoir et à mettre en oeuvre des situations choc et choquantes qui font sens et qui décoiffent.
En ayant entamé cette série, le lecteur avait croisé les doigts pour retrouver la verve du duo Oeming/Bendis des débuts de leur série Powers. le premier tome l'avait plutôt rassuré sur l'adresse graphique du dessinateur, et sur la capacité du scénariste à dérouler une trame rapide et rentre-dedans. Ce deuxième tome confirme ce bon départ, et va beaucoup plus loin que le premier tome, comme si ce dernier n'avait été qu'un tour de chauffe.
Michael Avon Oeming épate toujours autant par ses dessins à la lisibilité facile, par ses mises en scène sophistiquées, et par une forme de ton pince-sans-rire qui montre qu'il s'amuse bien.
Brian Michael Bendis surprend le lecteur qui a suivi sa carrière chez DC et Marvel, en revenant à une écriture adulte, en fouaillant sans pitié des recoins de la société, en révélant les ténèbres sous le vernis de la civilisation. Il a imaginé une situation dans laquelle des états des États-Unis sont en guerre en eux, une guerre au sein du pays, pas très éloignée des formes d'affrontement entre groupes de pression ou factions politiques sur le terrain.