Un check-point, à Ras-el-Bayada, au sud-Liban, pour surveiller la route de Tyr afin de créer une zone tampon entre le Hezbollah et Israël et la tension est déjà palpable.
Le Métier de mourir de Jean-René van der Plaetsen m'a plongé dans le quotidien de ces soldats tentant de sauvegarder une paix qu'ils savent fragile, leur vie étant menacée constamment. Cela se passe en 1985, dure trois jours et deux nuits, les 6, 7 et 8 mai et, depuis, nous savons que les malheurs n'ont cessé de s'abattre sur ce pays, le Liban, décrit souvent comme un paradis terrestre, en principe.
Dès les premières lignes, j'ai senti que l'auteur connaissait parfaitement son sujet et j'apprends qu'avant de devenir journaliste, Jean-René van der Plaetsen fut Chasseur alpin et surtout Casque bleu au Liban, faisant partie de la FINUL (Force intérimaire des Nations Unies pour le Liban), justement en 1985 !
Deux personnages monopolisent l'attention et découvrent peu à peu leurs origines, ce que fut leur vie jusque-là. Il y a d'abord Belleface, dit le Vieux, chef de poste, qui ne cesse de citer L'Ecclésiaste, ce qui est plutôt lassant. Il approche de la soixantaine et possède une immense expérience acquise dans la Légion étrangère pour la guerre d'Indochine où il a côtoyé de nombreux nazis tentant de faire oublier leur passé. Puis il s'est engagé avec Tsahal, l'armée israélienne, où il avait le grade de colonel.
L'autre est bien plus jeune, se nomme Favrier. Il est Français. Il pense à sa famille, à ses parents, à sa soeur restés à Barbizon et regrette surtout Claire qu'il aime toujours. Au contact de Belleface, il retrouve un père, un modèle et plusieurs séquences les réunissent. Ce sont des hommes faits pour la guerre mais ils savent apprécier un temps de baignade, tôt le matin, dans une petite crique bien protégée. Par précaution, ils nagent chacun à leur tour puis reviennent à pied au check-point afin d'assurer une nouvelle journée pleine de tension et d'insouciance malgré tout.
C'est lorsqu'une patrouille de Tsahal fait halte que Favrier réussit à en apprendre davantage sur Belleface, grâce aux confidences du commandant Avner Yarhi qui a appris à connaître l'homme au cours de la guerre des Six jours. S'il respecte son goût pour la solitude, sa tristesse insondable, il lui parle de cette femme, Ruth, qu'il aimait et fut assassinée par un Palestinien.
Ces hommes côtoient la mort, ont pour métier de la donner aussi, si nécessaire, mais ils n'aiment pas raconter ce qu'ils ont vécu ou subi. Belleface nous ramène au temps du ghetto de Varsovie puis au camp de Treblinka. Cet homme est donc un survivant de la Shoah et c'est parce qu'un prêtre lui a sauvé la vie et lui a confié sa Bible, qu'il se réfère sans cesse à ses textes, sans négliger sa pipe d'opium, chaque soir, habitude prise en Indochine et difficile à oublier.
Prix Renaudot des Lycéens 2020 succédant au roman de Victoria Mas (Le bal des folles), le Métier de mourir est un roman très particulier, sans beaucoup d'action. Il mérite d'abord d'être lu pour connaître un peu plus ce Moyen-Orient déchiré depuis si longtemps et ce Liban, si beau. Ensuite, grâce aux souvenirs de Belleface, il permet de prendre conscience des ravages causés par l'idéologie nazie, bien longtemps après la chute de ce régime.
Cette mort inéluctable qui rôde sans cesse finira-t-elle par avoir le dernier mot ?
Jean-René van der Plaeten a souvent entendu son grand père, le Général Jean Crépin, Compagnon de la Libération, raconter la mort épique d'Amilakvari, à la bataille d'El Himeimat, en octobre 1942 et le souvenir de ce résistant l'a incité à s'engager dans les Chasseurs Alpins, à intervenir au Liban dans les rangs de la FINUL avant de rejoindre Le Figaro pour y mener d'autres combats et publier « Le métier de mourir » qui marquera cette rentrée littéraire.
Le dialogue entre Belleface, un soldat de métier, et Favrier un jeune étudiant, engagés tous deux dans une milice libanaise gardant la frontière d'Israel contre le Hezbollah, s'inscrit dans la lignée d'Antoine de Saint-Exupéry et sa « Lettre au Général X » et de Hélie de Saint Marc dans « L'aventure et l'espérance ». « Ce qu'on appelle une raison de vivre est en même temps une excellente raison de mourir » rappelait Camus durant l'occupation nazie dans « le mythe de Sisyphe »…
Ces deux héros m'ont fascinés et m'ont semblé incarner (hypothèse toute personnelle) le Capitaine Borella et Stéphane Zanettacci tombés pour la libération du Liban.
Dominique Borella avait reçu la médaille militaire à Dien Bien Phu (plus jeune médaillé de France à 17 ans) avant de combattre en Algérie, au Cambodge puis de partir sur la trace des croisés en Terre Sainte et y mourir au combat . « L'histoire ne dressera nulle stèle à ce colonial, partisan d'une guerre sans haine, qui savait, comme Lyautey, voir dans l'adversaire d'aujourd'hui l'ami de demain … mais Jeanne d'Arc toute armée sur le seuil du Paradis, l'étendard à la main, lui sourit et le salue avec l'épée. » rappelait Dom Gérard, Père Abbé du Barroux.
Stéphane Zanettacci « Qui des tigres rejoignit les faisceaux, Pour garder libre la Phénicie» tomba pendant l'attaque du camp retranché de Tel-al-Zaatar, une enclave palestinienne en territoire chrétien, en juillet 1976 à l'âge de 22 ans.
Il est aussi possible que l'auteur ait voulu honorer la mémoire des 58 paras français et les 241 soldats américains victimes de l'attentat de Beyrouth en octobre 1983.
« Le métier de mourir » répond au devoir de mémoire et est un magnifique acte d'espérance pour une nation défendue par des Belleface et des Favrier.
Un ouvrage à lire et à méditer. Un ouvrage incontournable.
Printemps 1985. Israël s'est retiré du Liban après en avoir expulsé l'OLP, gardant le contrôle d'une zone tampon avec l'aide de l'Armée Sud du Liban. L'avant-poste de Ras-el-Bayada y a été placé sous le commandement du très respecté vétéran Belleface. D'origine polonaise, ce rescapé du camp de Treblinka a passé sa vie à combattre, d'abord comme légionnaire en Indochine, puis dans l'armée israélienne où il s'est élevé au rang de colonel. A cinquante-huit ans, le voilà à la tête d'une dizaine de miliciens, à surveiller route et mer par où peuvent à tout instant survenir les attaques terroristes du Hezbollah.
Sur ce bout de territoire chauffé à blanc par le soleil, entre poussière du désert et éclat aveuglant de la mer, le temps s'écoule au ralenti d'une interminable attente, passée en alerte permanente. Chaque fois qu'il prend son tour de garde à la barrière du check-point, chacun de ces combattants sait que le pire peut arriver, caché sous les apparences les plus banales. C'est donc avec au ventre la peur de l'imprévisible et la hantise de l'imparable, que l'on se laisse enfermer dans le huis-clos d'un drame annoncé, sous la menace d'un ennemi d'autant plus terrifiant qu'invisible et impalpable.
Dans cette fournaise qui ne demande qu'à exploser, les esprits gambergent. Favrier, un jeune engagé français fasciné par l'imposante aura de Belleface, s'attire la sympathie du vieux guerrier qui se plaît bientôt à projeter en lui le fils qu'il n'a jamais eu. Peu à peu se révèle le parcours douloureux et secret de ce personnage taciturne, inspiré de l'histoire vraie racontée à l'auteur par son grand-père, lui-même militaire de carrière. Cet homme, demeuré anonyme, prend au fil du récit la dimension d'un héros digne et courageux, incroyable trompe-la-mort désespérément condamné à la solitude par son exceptionnelle longévité dans le « métier de mourir », mais aussi sage et fataliste témoin de l'éternelle et folle faiblesse humaine, tragiquement soulignée par la litanie de ses références bibliques, extraites de l'Ecclésiaste.
La narration, puissante et sobre, exsude l'amour profond de l'auteur pour le Liban et témoigne de sa connaissance fine du contexte du pays. Casque bleu dans cette zone en 1985, il a lui-même assisté à cette guerre d'usure silencieuse, qui, à force d'attaques sporadiques et terriblement meurtrières, très souvent sous la forme d'attentats à la voiture piégée, a fini par permettre au Hezbollah de récupérer le terrain abandonné par les forces armées israéliennes. Et, alors qu'il est issu d'une famille de militaires, son livre est aussi une réflexion sur les valeurs qui motivent des hommes à s'engager dans le métier de soldat, par vocation et par idéal, parce qu'à leurs yeux leur vie vaut d'être donnée pour la cause qu'ils défendent.
En mêlant les accents antiques d'une tragédie grecque aux sonorités modernes d'une guerre contemporaine, ce livre bâti tout en tension et profondeur, comme un fatidique compte à rebours vers ce que l'on devine d'emblée une dramatique explosion finale, fait résonner avec beaucoup de tristesse l'apparente infinitude des conflits qui embrasent le Proche-Orient, épicentre de nos civilisations, de nos religions, mais aussi d'une violence dont les vagues n'ont pas fini d'ébranler le monde.
Le choix des lycéens de primer un livre portant un tel titre avait éveillé ma curiosité. le métier de mourir est un ouvrage qui sort de l'ordinaire, comme d'ailleurs son auteur, dont c'est le deuxième roman. Jean-René van der Plaetsen a mené une longue carrière de journaliste au Figaro, après avoir été, dans sa jeunesse, soldat en mission au Sud-Liban, en tant que Casque Bleu. Une expérience personnelle qui l'aura inspiré.
Quand ils évoquent le personnage principal d'un roman, les gens disent parfois « le héros », un terme souvent injustifié. Dans le métier de mourir, il serait légitime de l'employer pour Belleface. C'est en tout cas clair dans l'intention de l'auteur. Celui que ses hommes appellent le Vieux est un militaire de carrière juste et courageux, une personne de bonne moralité, qui a crapahuté en Indochine dans la Légion étrangère, participé aux campagnes de Tsahal, où il accède au grade de colonel, avant de prendre, à l'âge de la retraite, un poste dans l'Armée du Liban-Sud. En 1985, il est assigné à la surveillance du check-point de Ras-el-Bayada, à l'entrée d'une zone franche entre Israël et le Liban. Un endroit stratégique, susceptible d'être attaqué par le Hezbollah.
J'ai été impressionné par la table des matières, strictement cadrée : premier jour, deuxième jour, troisième jour. L'attente d'une hypothétique attaque terroriste rappelle un peu celle du roman culte de Dino Buzatti, le Désert des Tartares. Dans le métier de mourir, l'attente ne dure que trois jours, mais son intensité dramatique est d'autant plus forte. le dénouement est fracassant.
Le sujet du livre dépasse largement ces trois journées d'expectative, vécues sous un soleil de plomb, dans un paysage grandiose de premier matin du monde et dans un contexte politique conflictuel qui ne surprend plus personne. le roman restitue en effet toute la vie du héros, sous forme de témoignages indirects et de souvenirs qui lui reviennent, traînant avec eux leurs lots de nostalgie, de tristesse et de colère : l'enfance heureuse dans une famille juive aisée de Varsovie, la déportation et l'extermination des siens à Treblinka, le sacrifice d'un prêtre lui ayant permis d'en réchapper miraculeusement…
S'en est suivi un long parcours de baroudeur, au cours duquel Belleface a construit sa morale de soldat, une démarche nourrie aussi par la lecture de l'Ecclésiaste, ce livre de l'Ancien Testament constitué d'aphorismes sur le sens de la vie. Tout ne serait que vanité, il n'y aurait rien de nouveau sous le soleil… Faut-il alors se résoudre à ne rien transmettre de ce qu'on a appris ? Et si Favrier, le jeune soldat français présent aux côtés de Belleface, pouvait lui tenir lieu de fils spirituel et entendre le secret qui hante le vieux militaire ?
J'ai beaucoup aimé ma lecture… pendant les deux tiers du livre. Je l'ai trouvé superbement écrit, car j'apprécie les phrases longues à la syntaxe grammaticale impeccable. Les paysages sont rendus avec un lyrisme de bon aloi, les environnements sont décrits avec un sens du détail qui dénote des qualités d'observation et d'expression hors du commun. Les parcours familiaux et les configurations psychologiques des personnages sont captivants.
Mais j'ai fini par me lasser de l'immobilité de la narration, de son rythme ralenti par l'abus de détails et de son basculement vers le prêche philosophique, ponctué de révélations métaphysiques. Quant au grand secret inavouable, il ferait sourire les lecteurs de thrillers.
Le livre a cependant le mérite de rappeler certaines problématiques géopolitiques, dans un Liban multiculturel où ce sont les religions qui régissent les comportements. Un monde magnifique, mais désespérant. Car là où l'humanité s'est jadis civilisée, les fous de Dieu ont pris un avantage sur les sages qui doutent. Parmi les citations en exergue, un extrait d'une sourate m'a fait froid dans le dos.
Nous sommes le 6 mai 1985. L'avant-poste que commande Belleface, cet officier reconnu de l'armée israélienne, est situé dans un lieu improbable, perdu sur la frontière entre le Liban et Israël. le paysage est sublime, au loin s'étale la ville blanche de Tyr tandis que la méditerranée miroite sous un soleil féroce. Il semble que rien ne peut arriver et pourtant Belleface maintient la vigilance de ses soldats car il sait, en militaire expérimenté, que les attaques du Hezbollah peuvent surgir à tout moment et qu'il ne peut malheureusement pas grand-chose contre l'explosion d'une voiture piégée.
Tout n'est que lenteur le long de ces journées brulantes rythmées par les tours de garde. Ceci n'est pas sans évoquer le roman de Buzzati « le désert des Tartares » où il est aussi question d'un combat qui n'arrive pas tandis que tout s'enlise dans l'attente.
Face à lui-même, Belleface a tout loisir pour se pencher sur sa vie. Ainsi on découvre son vrai patronyme, la disparition de sa famille dans l'enfer de Treblinka, et son amour pour Ruth. Ses pensées sont ponctuées de citations de « L'ecclésiaste » cette bible qui ne le quitte jamais et dont il partage la vision fataliste.
Peu à peu, à partir de fragments de son passé, le destin de Belleface se révèle au lecteur par le truchement de Favrier, ce jeune français admirateur de son chef. Favier est aussi le fils que Belleface n'a jamais eu et à qui il aimerait confier ses secrets pour qu'ils lui survivent.
Ce récit ne couvre que trois jours décrits avec minutie dans un huis-clos dense et oppressant.
Le personnage de Belleface intrigue, séduit et questionne le lecteur, qui est-il vraiment et le sait-il lui-même ?
Outre le conflit entre Israël et le Hezbollah, le roman aborde de nombreux sujets comme la vie après l'holocauste, la religion et sa radicalisation, la filiation. Beaucoup de thèmes en seulement 270 pages et parfois on a l'impression de s'égarer un peu. Peut-être certains sujets auraient nécessité plus de réflexion. Néanmoins, « le métier de mourir » est un très bon roman qui se lit d'une traite et que je recommande.
![]() | LaCroix 07 décembre 2020
Poursuivant sa quête de héros positif, Jean-René Van der Plaetsen imagine l'amitié entre un colonel de l'armée israélienne et un casque bleu français, en 1985 dans le sud du Liban. Lire la critique sur le site : LaCroix |
Complétez le titre de cette pièce de Jean Giraudoux : La Guerre ... n'aura pas lieu