vivre libre, ça n’existe pas, c’est du vent - le premier mot tue le second comme une plante grimpante en étouffe une autre.
Les histoires de Théo sont excessives et baroques, il danse chez Fellini, Dumas ou Capra, les miennes ricochent sur des arêtes plus aiguës de Dreyer, Godard ou Faulkner, mais au fond cela revient au même : des couleurs éclatantes, de la musique aux moments beaux ou tristes et des gens imprévisibles. p204
_ ben, je sais que tu le sais, mais.............il faudrait vraiment que tu fasses des efforts pour manger.
BIM, la colère jailllit.
- Mais j'ESSAIE, putain !j'ai envie de dégueuler tout le temps, mais j'essaie, OK ?!
Mes lèvres tremblent de rage, je sens la chiale arriver. Bah ouais, on ne peut pas passer notre temps à faire des blagues et à trinquer au Fanta, forcément. C'est quand même la merde, ce qui nous arrive.
j'étais une jolie jeune future maman, je ressemble à un futur cadavre. Je ne vois pas comment il pourrait me désirer, avoir même envie de m'embrasser....j'ai l'impression de partir en morceaux. On n'en voit pas le bout et, pour l'instant, on n'a pas l'ombre d'un indice sur les effets de la chimio, à part que je suis épuisée, pâle et amaigrie, que j'ai tout le temps le coeur au bord des lèvres et le sentiment que tout s'empire de jour en jour. On ne peut pas dire que ça donne envie d'y croire.
Il n’empêche que tant qu’on n’a pas conscience des choses, elles n’ont pas d’existence.
Mais j'ai beau être jeune et pas mal larguée, je sais bien que la vie n'a rien à voir avec un film de Godard. Les couleurs ne sont jamais aussi éclatantes, il n'y a pas de musique bizarre pour souligner les passages drôles ou absurdes et les gens sont infiniment plus prévisibles.
Théo et moi avons toujours été terriblement conscients du fait que c'est sur les histoires que l'existence établit ses fondations, nous avons toujours su que c'était dans les failles, les accidents et les séismes que la vérité de nos vies pouvait être mise en lumière
Les larmes sortent. Putain, elles jaillissent carrément, j’ai les joues trempées en un rien de temps, mes poings sont si crispés que je tremble de partout. J’ai l’impression de n’être qu’un long sanglot qui déborde.
Ce n’est pas parce qu’elle est vraie et dure par moments, ni même parce qu’elle finirait mal, que ce n’en est pas une ; toutes les vies sont des aventures extraordinaires, pour qui peut les voir dépliées devant soi.
Le problème avec les gens qui sombrent, c’est qu’ils t’entraînent avec eux.
Force est de constater – je le constate en ce moment même – qu’en un certain sens, et d’une bizarre façon qui n’appartient ordinairement qu’aux films (pas spécialement de Godard), j’ai toujours su que ça arriverait. Que je mourrais trop jeune, dans des circonstances tragiques, victime d’une histoire extraordinaire.
Je crois même que Théo le savait, lui aussi, depuis notre tout premier baiser. Il se plaisait à jouer le chevalier blanc ramenant sur la rive la jument hors de contrôle, il adorait opposer une douceur constante à mes bruyants éclats, à mes frasques, et il affichait une confiance telle qu’il était quasiment impossible de ne pas croire avec lui que tout irait bien, qu’il suffisait de regarder la vie comme si on sortait d’un tunnel…