Cette critique est susceptible d'être biaisée. Babelio ne garantit pas son authenticité
Autant le dire tout de suite,
le janissaire d'
Olivier Bérenval ne tient pas les promesses de la somptueuse couverture du talentueux Wadim Kashim, pas plus que celles du pitch alléchant du 4e plat de l'édition poche chez Helios.
Mais alors pas du tout.
Je vais essayer d'évoquer le crash spatial sans trop spoiler :
Le janissaire est une vague référence à une soldatesque d'élite de l'empire ottoman du XIVe siècle, des durs à cuire, enlevés à leurs parents dès l'enfance et loyaux à leur sultan. La référence s'arrête là, il aurait pu s'appeler the Punisher, ver Gris ou judge Dredd, mais c'était déjà pris.
Ce janissaire-là est présenté comme un redoutable enquêteur, surentrainé, aux capacités surhumaines, doté d'implants et de tout un arsenal dont on comprend vite qu'il brûle d'envie de se servir. Et il est chargé de résoudre le meurtre d'une huile galonnée sur une planète reculée.
Mais notre janissaire au crâne rasé truffé de tatouages se révèle finalement pas plus perspicace ni plus efficace que l'inspecteur gadget. Il passe son temps à enregistrer des tas de données dans son néo-cortex façon Kiera Cameron dans Continuum sans qu'on sache ce qu'il en fait. Son enquête piétine pendant toute la première partie que l'on aurait aimé émaillée d'indices pour ne pas trop s'ennuyer. Au lieu de quoi, on enchaîne les scènes inutiles qui n'apportent rien à l'ambiance, ni à l'intrigue, ni à l'enquête ni à la psychologie des personnages. L'auteur ne doit pas connaître Tchekov et son fusil.
Le point d'orgue de cette première partie consiste en
l'échec invraisemblable d'un assaut mené par notre janissaire pourtant super entraîné assisté de soldats d'élite tout aussi super entraînés, et cependant pas plus doués, contre des rebelles improvisateurs qui ne s'y attendaient pas.
On ajoute une planète reculée et terraformée sous le joug d'un empire galactico-industriel, la "Communauté" (sans doute pour "communauté d'intérêt"), une cheffe du renseignement qui ne paraît pas très bien renseignée à la tête d'un service même pas fichu d'infiltrer le mouvement rebelle (C'est sûr, on n'est pas chez Robert Littel que l'auteur aurait tout avantage à lire) , une famille de pionniers vaguement consanguins, et on n'obtient qu'une juxtaposition franchouillarde de tableaux SF éculés.
Le roman aurait peut-être gagné, ainsi que le lecteur, à démarrer à la seconde partie en distillant quelques éléments parmi les moins inintéressants de la 1ere partie. Quoique... la seconde partie ne sauve pas la première. Pour autant, le rythme s'accélère, la jeune agent du renseignement,
bien que n'étant qu'un personnage secondaire, finit par découvrir toute seule, en quelques paragraphes, les raisons et les circonstances du meurtre. Et là, on se demande vraiment à quoi bon cette 1ere partie où il ne s'est absolument rien passé avec ce janissaire qui ne sert à rien, au bout du compte. On y apprend en revanche que
ce couillon croyait qu'il était craint et respecté pour appartenir à un ordre prestigieux, alors qu'il n'est en fait qu'un condamné reformaté et qu'il ne faut surtout pas le lui dire sinon il pète une pile et vous saute à la gorge. La fin est téléportée d'avance : les rebelles sont les gentils qui défendent leur planète (la planète aurait pu s'appeler Pandora, mais c'était déjà pris aussi. Ah bah non, même pas ! La planète minéralo-vivante ne joue finalement aucun rôle dans l'intrigue).
Bref,
le janissaire est un patchwork d'une resucée d'arguments science-fictionnels dans des décors sans surprise suivant une intrigue fort peu intrigante, avec des personnages auxquels on ne s'attache pas tant ils sont stéréotypés dans des situations sans cohérence et selon une psychologie improbable.
Un des personnages supposé être un leader rebelle est décrit comme quelqu'un qui "n'avait pas l'air dangereux, juste très inquiet, même effrayé " mais est présenté la page suivante comme "un homme d'action". Un des personnages féminin exige de savoir pourquoi on veut abattre
le janissaire, mais, deux pages plus loin, dit à celle qui doit
lui expliquer "éclaire-moi, puisque tu y tiens tant".
Le style afflige par sa platitude. "Les yeux rougis, le teint pâle, Creek faisait peine à voir. Il faudrait aussi qu'elle songe à manger et à prendre une douche". La pauvreté du vocabulaire (l'un des personnages "farfouille" dans un placard) n'égale que l'accumulation de tournures malhabiles ("il m'aperçut et me regarda étrangement, d'un air qui n'était toutefois pas hostile"). On a droit à l'inévitable florilège de néologismes pour faire plus SF, à tel point que l'auteur croit utile d'ajouter un glossaire à la fin de sa production. Des fois que l'on ne comprenne pas qu'un "rotolift" est un ascenseur, que la "mère-nourissière" le nom donné à la Terre ou qu'un "maser" est une arme entre le laser et la massue.
Sur cette planète, les soeurs sont des "sorors", les frères des "fraters", la "mater", c'est la mère, tandis que le père est un... voyons... "pater" peut-être ? Bérenval a dû faire latin au collège. Nous sommes loin de l'érudition d'un
Romain Lucazeau.
Bref, ce janissaire mal écrit, mal construit, sans suspense, sonne creux et est aussi aride que la planète Khataï. Il pourrait à la rigueur passer pour une parodie de roman de science-fiction s'il comportait au moins une once d'humour. J'ai déjà lu des
romans de gare de science-fiction moins présomptueux mais bien plus astucieux.
Van Vogt doit s'en retourner dans son cryo-cercueil (pour reprendre la phraséologie du livre).
À mi-roman,
le janissaire s'interroge sur les intentions du chef rebelle qui le tient à sa merci : " Allait-il m'éliminer, désormais convaincu de mon inutilité ?" On se prend à regretter qu'il ne le fit pas.
Post-scriptum : J'ai acheté le même jour trois livres neufs.
le janissaire d'
Olivier Bérenval, 11,90€,
La place d'
Annie Ernaux, 8,50 €,
Bel-ami de
Maupassant, 3,50 €. le prix de vente varierait-il à raison inverse du talent à raconter une histoire ?