Faute d'égalité

On réclame le maintien des services publics, des hôpitaux, des écoles, des bureaux de poste et des tribunaux, des 90 km/h. sur les routes secondaires, du prix de l’essence. Un mot revient souvent, qu’on n’avait guère entendu, jusqu’ici, celui de dignité.

L’oubli retombe devant la main armée d’un poinçon, d’une plume. Avec un crayon et un papier, on peut faire sans rien omettre, les courses du vendredi soir, résoudre une équation du second degré, tenir un agenda.

En 1914, on compte un pour cent de bacheliers et dix ou quinze mille étudiants. Cent ans plus tard, ce sont respectivement quatre-vingt-cinq pour cent et deux millions et demi.

La pensée naît de l’échec. Rien ne se passe comme on l’escomptait benoîtement. On s’assoit, le poing à la tempe, le coude sur le genou.

Comme l’aspiration au changement, la passion irrationnelle, incoercible, invincible de l’égalité demeurent, c’est vers le parti opposé, le populisme, qu’on a vu les déshérités se tourner.

Les derniers gouvernements ont mis le meilleur de leurs soins à ne surtout toucher à rien, aidés en cela, il est vrai, par le discrédit où le socialisme réel était tombé avant de péricliter.

La population française ne représente plus aujourd’hui qu’un pour cent de l’humanité. Ce centième, s’il diffère un peu du restant, c’est peut-être pour avoir contribué à donner corps, en son temps, au rêve égalitaire qui avait germé dans les latomies d’Athènes et les casernes d’esclaves de Rome.

Quel rapport entre ces commotions énormes, ces désastres successifs, deux guerres mondiales, fratricides, suicidaires, l’autodestruction du socialisme réel, le déclin de l’Europe et puis la floraison de gilets de détresse sur les ronds-points de notre pays ?

L’égalité de partage est inscrite dans le droit mais il n’y a rien à partager. On recourt à la force, d’autant plus aisément qu’a été escamoté le chapitre productif et parlementaire bourgeois qui figure dans l’histoire des pays occidentaux.

Rousseau tient l’égalité pour une aspiration innée de l’âme et du cœur. Il y a conformé sa conduite dans la société d’ordres qui fut la sienne et à la ruine de laquelle par ses écrits, il a contribué.